Le pari des réformes

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Après l’adoption houleuse par l’Assemblée populaire communale, en avril 2011, du nouveau Code de la commune, la réforme institutionnelle s’apprête à franchir dans les semaines à venir un autre cap, celui de l’élaboration d’un nouveau Code de la wilaya. Ces deux textes datant du début des années 1990 ont eu à montrer leurs limites dans la gestion des affaires de l’Algérie du début du troisième millénaire, d’autant plus que la base de la division territoriale sur laquelle ils s’exercent souffre elle-même de moult incohérences et de patentes discordances.

Une chose paraît certaine : pour l’ensemble des pays qui ont été amenés à procéder à des réformes de leurs systèmes économiques, la leçon est tirée que ces réformes ne peuvent pas se faire d’une manière partielle, parcellaire ou émiettée. Au cours de leur mise en œuvre, les réformes touchant des secteurs précis de la vie nationale appellent et mettent en branle la chaîne solidaire des points d’appui qui constituent la vie politique, économique, sociale et culturelle de la nation.

Ce n’est là en fait, que la manifestation empirique d’un phénomène plus profond inscrit dans la vie des hommes, des société et des nations. On revient même au sens général et premier du concept d’ « administration » lequel ne se confinait pas dans les actes de gestion de l’État et dans les personnels chargés de leur exécution. Ce concept va plus loin et embrasse l’ensemble des actes de gestion à l’intérieur d’un territoire souverain.

François Gazier, dans l’Encyclopedia Universalis, soutient : « L’Administration voit partout ses missions s’étendre et se diversifier. Il lui incombe toujours d’assurer le maintien de l’ordre dans la société et d’exercer les fonctions de souveraineté inhérentes à toute organisation étatique. Mais il lui faut également gérer un nombre croissant de services, dont beaucoup ont un caractère technique accusé. Enfin, elle prend en charge, de plus en plus, par des interventions innombrables et convergentes, tout le développement économique de la nation ».

En Algérie, une forme de dérive sémantique, colportée même par des médias, fait que l’administration se limite à la fonction publique. Toute la ‘’littérature’’ politique y afférente en ressent les effets.

Un lourd héritage

Pour nous en tenir dans un premier temps à cet aspect du problème, signalons que le gouvernement algérien a promulgué en 2007 le nouveau statut de la Fonction publique. Ce dernier n’a pas encore bénéficié de l’application intégrale de ses dispositions et clauses et, ce, pour une raison de poids : les statuts particuliers de différents secteurs émargeant au budget de l’État n’étaient prêts que depuis quelques semaines. Certains de ces statuts ont vu leur adoption retardée en raison de certaines incohérences que contient le document de propositions élaboré les partenaires sociaux. Au vu de cette situation, depuis avril 2008, ce sont des statuts transitoires qui ont cours dans la plupart des administrations publiques. La régularisation intervient au fur et à mesure de l’adoption des statuts particuliers des secteurs concernés ; abstraction faite des régimes indemnitaires qui sont élaborés au ‘’compte-goutte’’.

En avançant dans son itinéraire procédural, ce dossier prenait à fur à mesure les allures d’un sujet explosif. Étant, depuis le milieu des années 1990, soumis au ‘’droit de regard’’ (pour ne pas dire plus) du Fonds monétaire international (FMI) par l’intermédiaire duquel l’Algérie procéda au rééchelonnement de sa dette extérieure, ce volet important de l’administration et de l’économie du pays a eu une histoire chaotique qui avait installé avant l’instauration de l’autonomie des entreprises publiques en 1988 et le divorce structurel de l’État d’avec le parti unique du FLN, une confusion totale et durable entre les structures administratives de l’État, symbole de sa souveraineté et instruments de la puissance publique, et le reste de la sphère économique et idéologique. En d’autres termes, les permanents du parti émargeaient au budget de la fonction publique et les entreprises publiques recevaient des subventions du Trésor public. Ce parcours imposé par la grâce de l’économie administrée n’a subi l’évolution dictée par les nécessités du monde actuel qu’au prix de déchirements qui ont déteint sur la marche des entreprises et de l’administration elle-même.

Après ce découplage qui préfigurait d’autres formes d’évolutions tendant à assurer à l’administration son autonomie et à lui conférer les attributs de puissance publique, la Fonction publique se heurtera à moult écueils charriés par la libéralisation de l’économie, la nécessité de stabiliser les indicateurs macroéconomiques et l’impérative adaptation aux différents changements qui ont affecté le paysage économique et social du pays.

Les nouvelles réalités économiques et les impératifs de réformes qu’elles charrient sur le plan de la législation et de la réglementation ont inexorablement mis à nu les retards et déficits de l’administration algérienne dans tous les domaines. Il s’ensuivra une prise de conscience graduelle de la part des pouvoirs publics et des opérateurs économiques qui les amènera à élaborer plusieurs propositions en direction du corps de l’administration publique dans l’objectif de la soumettre aux indispensables réformes.

Des velléités de réformes

Avec près de deux millions de fonctionnaires civils, paramilitaires et militaires, payés sur le budget de fonctionnement de l’État, et avec des milliards de dinars destinés chaque année à l’alimentation du budget d’équipement piloté par cette même administration, plusieurs thèses se sont entrechoquées pour appeler à des dégraissages massifs dans ce corps ou bien encore au maintien de l’emploi, mais sans une analyse approfondie des véritables missions dévolues aux structures de l’État dans l’étape historique qu’il traverse. Une chose est sûre : avec un tel nombre d’employés, l’État demeure le premier employeur du pays. Cependant, une vision purement statistique ne risque pas de toucher aux véritables problèmes qui couvent dans la Fonction publique. Pire, elle risque même de les voiler face aux enjeux de l’ouverture économique et des défis de la mondialisation. C’est pour dépasser cette approche tronquée que le président Bouteflika avait confié au début de son premier mandat, le travail d’investigation sur ce secteur vital de la vie de la Nation à une commission présidée par une éminence en la matière, M. Missoum S’bih, actuel ambassadeur d’Algérie à Paris.

Le diagnostic de l’administration algérienne s’était figé un certain moment sur certains symptômes extérieurs : inflation du personnel, bureaucratie et archaïsme des méthodes de travail. La Commission est allée plus loin dans ses investigations en faisant état de la médiocrité de l’encadrement, de l’inefficacité des méthodes de travail, du manque d’adéquation entre la formation scolaire et universitaire avec les véritables missions de service public et de puissance publique et, enfin, des incohérences et travers générés par l’hypercentralisation des pouvoirs de décision aggravés par une division déséquilibré du territoire. C’est apparemment au compte-goutte que le gouvernement ‘’glane’’ dans ce fameux rapport pour annoncer, par intermittence, des mesures qui sont encore loin de répondre aux besoins des défis qui se posent à l’administration algérienne. Et pourtant, cela est connu à travers tous les pays du monde, aucune réforme économique n’est susceptible de s’imposer ni, a fortiori, d’avoir le souffle long sans une administration compétente, efficace, décentralisée et ouverte sur les méthodes modernes de gestion.

C’est à la Constitution de février 1989 que nous devons la séparation théorique des pouvoirs et l’indépendance de la justice. Sur le terrain, les changements ont nettement marqué le pas d’autant plus qu’à partir de 1992, l’Algérie entra dans une zone de turbulence sécuritaire dont certains actes se prolongent jusqu’à ce jour.

Au fur et à mesure de l’abandon de l’économie administrée suite à l’impasse sociale née de la gestion irraisonnée de la rente, l’Algérie entrait peu à peu dans l’économie de marché au prix de la déstructuration du tissu industriel et de la mise à la marge de centaines de milliers de travailleurs.

Nouveaux challenges

La nouvelle configuration qui s’annonçait pour l’économie algérienne exigeait la réforme des lois et des modes de gestion. Les lois sur l’autonomie des entreprises publiques (1988), la loi sur la Monnaie et le Crédit (1991), et tout l’arsenal législatif qui suivra- avec la libéralisation des métiers des auxiliaires de la justice (notaires, huissiers, commissaires aux comptes, commissaires priseurs)- constituent un début des réformes de la justice.

Les nouvelles réalités économiques et sociales ont ainsi ouvert un grand chantier législatif relatif au commerce, aux transactions foncières, au monde associatif, aux collectivités locales (codes de la commune et de la wilaya). D’autres dossiers ou secteurs d’activité ont aussi imposé ou imposeront bientôt des changements de lois qui sont autant de réformes progressives mais irréversibles dans le secteur de la justice. L’informatisation des services, la téléphonie mobile, la presse indépendante, la protection du consommateur, la défense de l’environnement et du patrimoine culturel, la défense des règles de l’urbanisme, la bioéthique et la déontologie médicale, l’usage des stupéfiants, la lutte contre les nouvelles formes de criminalité la modernisation de la fiscalité l’investissement étranger, l’institution du droit des affaires, les relations avec l’Europe induites par l’Accord d’association, sont, entre autres, les nouveaux défis qui se posent au secteur de la justice en Algérie et qui exigeront de nouvelles compétences et une stratégie de spécialisation comme cela se passe dans les autres pays du monde. Sur ce chapitre, l’on ne peut plus faire abstraction des besoins en formation charriés par les nouvelles missions qui incombent au secteur judiciaire. Des écoles spécialisées en droit du travail, en droit fiscal, en droit foncier ou en droit des affaires ne sont pas un luxe dans l’Algérie de 2009. De même, la création de tribunaux commerciaux et de tribunaux ou sections en droit foncier sera, sous peu, une impérieuse nécessité.

Sur l’ensemble des changements et évolutions que la Fonction publique est appelée à subir, les regards et l’attention ont été exagérément orientés vers le volet salarial.

Tout en étant appréhendés dans toute leur ampleur, les salaires ne sont qu’un ‘’reflet monétaire’’ de la gestion des ressources humaines y exerçant. Ils ne doivent surtout pas avoir pour vocation de cacher les travers de l’administration publique.

Des centaines de commentaires et autres observations ont accompagné les projets et les mesures que les pouvoirs publics ont commencé à sortir du tiroir depuis presque quatre ans en direction de la Fonction publique sans que le sujet ne soit épuisé et surtout sans qu’une quelconque lumière ait pu éclairer d’un jour nouveau un secteur près de deux millions de travailleurs. Les engagements, en 2007, du ministère du Travail et de la Sécurité sociale relatifs au début d’application de la nouvelle grille des salaires, dont le décret a été signé par le président Bouteflika au début de l’année 2008, n’ont apporté pratiquement rien de nouveau d’autant plus que ce sont là des mesures transitoires censées prendre fin dès la finalisation des statuts particuliers de chaque corps de métier. Après l’adoption des statuts des secteurs manquants, on procédera aux correctifs et autres calculs d’apothicaire pour un domaine d’activité qui, sous d’autres cieux, est considéré comme l’armature de l’État moderne et la cheville ouvrière de la démocratisation de la société.

Rappelons que la dernière échéance fixée par le Premier ministre pour l’application intégrale des statuts particuliers des travailleurs de la Fonction publique était l’année 2009. A cette échéance, tous les secteurs émargeant au budget de l’État étaient censés bénéficier des statuts et des régimes indemnitaires y afférents. Ce travail est supposé clôturer le cycle des négociations entamées depuis 2006 avec les partenaires sociaux.

Cet avancement dans le règlement de la question salariale est vu comme une solution au relèvement du niveau de vie des fonctionnaires. Bien qu’en chiffres absolus, des augmentations conséquentes aient été consenties pour les agents de l’État depuis 2006, force est de reconnaître que, face à l’inflation générale des prix des produits de première nécessité et face aux conséquences de la crise financière mondiale, ces relèvements salariaux sont loin d’induire les effets désirés. L’administration ne vit pas en vase clos. La régression du pouvoir d’achat ne peut être amortie ou jugulée que par plus d’investissements, plus d’emplois et plus de production. À plusieurs reprises, le président de la République a appelé à plus d’austérité dans le train de vie de l’État, donc des Algériens aussi, en se référant aux risques que court notre pays dans le contexte de la crise financière mondiale ayant entraîné entre 2008 et 2010, une baisse drastique de la consommation énergétique, ce qui s’est traduit pas une chute des recettes pétrolières malgré les mesures de réduction de la production prises par le cartel de l’OPEP à la fin de l’année 2008.

Le relèvement du prix du baril de pétrole depuis le soulèvement, en janvier 2011, de certains peuples de l’aire géographique arabe, n’est en rien une donnée stable sur laquelle peuvent être calculés les indices de la santé financière du pays.

Dimension spatiale et décentralisation

Même si la question salariale relève d’une incontestable légitimité au vu de l’infernale dégradation du pouvoir d’achat de tous les travailleurs algériens, y compris les agents de l’État, réduire les problèmes de la Fonction publique à cette seule question serait une grave erreur stratégique et un signe d’un patent déficit managérial.

Outre le personnel administratif par lequel s’exercent la force et la souveraineté de l’État, et par lequel également la Collectivité nationale se donne les moyens pour assurer le service public et la solidarité nationale, l’administration présente une dimension spatiale tournée vers la gestion des territoires. L’enjeu est de taille. À l’heure bénie où la population, les organisations de la société civile et les opérateurs économiques misent sur une décentralisation accrue des structures de l’État pour libérer les initiatives locales, instaurer un équilibre régional en matière de développement économique et harmoniser la gestion des territoires, l’impression qui se dégage dans la pratique quotidienne au cours des dernières semaines ne plaide apparemment pas pour une telle vision présentée, un certain moment, comme la solution idéale pour une gestion rationnelle des ressources et pour une véritable intégration nationale basée sur les spécificités régionales et la complémentarité dans l’ensemble national. Pourtant, suite au constat des limites du modèle de centralisation hypertrophiée et à une demande citoyenne vers plus de liberté et de marge de manœuvre pour les démembrements de l’État et des élus locaux exprimée parfois dans la violence, des lueurs d’espoir commençaient à poindre lorsque, au début des années 2000, les programmes sectoriels de développement ont été déconcentrés et confiés à la gestion des wilayas. De même, les informations ayant un moment circulé dans le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales relatives au nouveau découpage du territoire- tablant sur environ une centaine de wilayas déléguées- ont insufflé de légitimes espoirs chez les populations et les autorités locales pour se débarrasser d’une gestion par procuration où les centres de décision sont non seulement éloignés mais souvent nébuleux et dilués.

Dans une telle situation de chaînon manquant dans la machine administrative de l’État, personne ne trouve son compte si on excepte les cercles de la corruption, lesquels, partout dans le monde, tirent avantage de la concentration des pouvoirs et de l’opacité de gestion qui lui est intimement liée.

Le nouveau code communal et la réforme prévue pour les prochaines semaines du code de la wilaya sont censés apporter un nouveau souffle à la gestion des assemblées locales. A ces deux codes, s’ajoutera- comme l’a prévu la feuille de route des réformes annoncées par le président de la République le 15 avril dernier- la réforme du Code électoral, outil majeur dans la fondation de la gouvernance. Une réforme réussie de ces instruments législatifs peut constituer, pour de larges secteurs de l’opinion et des partis politiques, la pierre de touche de la volonté politique du gouvernement d’établir la bonne gouvernance locale et à aller vers plus de décentralisation dans les structures de l’État et la gestion des territoires.

Pour rendre plus efficace et moderniser les services de l’administration, le président de la République a fait état, il y a trois ans, de la nécessité d’un nouvel encadrement technique pour les communes de façon à ce qu’elles puissent faire face aux différentes tâches de développement local et de gestion du territoire. Sur ce plan, de nouveaux postes budgétaires ont été accordés par l’administration de la Fonction publique aux mairies. Ces dernières ont commencé à recruter dans les corps de différents métiers des diplômés censés suivre, contrôler et réceptionner les projets de développement communaux.

Les finances locales sont appelées, elles aussi, à une refonte aussi bien sur le plan de la fiscalité locale que de l’utilisation des deniers de la collectivité.

Amar Naït Messaoud

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