Les sacrifices d’un peuple pour arracher sa liberté

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Soixante-treize ans après les massacres du 8 Mai 1945, la mémoire reste le meilleur témoin de cette épopée historique.

En effet, le déclenchement du soulèvement populaire prit forme à Kherrata, le mardi 8 mai 1945, traditionnellement jour de marché, où les voix s’exprimèrent à travers une manifestation symbolique des élèves des medersas de la ville. Cette action a été soutenue par un illustre militant de la cause algérienne, Hanouz Mohand-Arab, membre du comité directeur des écoles coraniques qui a été tué avec ses quatre fils par l’armée coloniale lors des manifestations de la population algérienne de Kherrata.

De leur côté, des élèves des écoles françaises de la ville scandaient des chants en hommage à la grandeur de la France et à son empire colonial. Appuyant ces derniers, l’administrateur français présent ce jour-là à Kherrata, prit la parole en s’adressant à ces élèves et aux colons pour transmettre un message qui consistait à mettre en exergue la signification de la victoire sur le Nazisme. Mais en réalité, l’enjeu pour lui tendait à mobiliser et à sensibiliser la communauté française pour sauvegarder les intérêts de la France, menacée par l’action du mouvement national algérien et d’asseoir son autorité sur la terre algérienne, en déclarant en substance que la victoire acquise après la deuxième guerre mondiale ne constitue qu’une première étape dans l’entreprise menée par la France et la plus importante demeure, selon lui, celle décisive qui aura pour but le maintien de la colonie.

Après son intervention, l’administrateur prit la route en compagnie de son adjoint et d’un juge de paix en direction du siège de la commune-mixte à Ain El-Kebira. Mais il n’arrivera jamais à destination car il fut exécuté en cours de route avec son adjoint par un groupe de patriotes, en laissant la vie sauve au juge de paix qui s’est avéré être un Algérien, mais ce dernier fut arrêté par les forces coloniales à Ain El-Kebira (Ex-Périgoville), le soupçonnant de complice dans l’attentat. La nouvelle de l’assassinat du fonctionnaire français fut aussitôt apprise par la population de Kherrata par des voyageurs du car qui faisant la navette entre Sétif et Béjaïa, qui étaient témoins de la scène et qui fut aussitôt répandue à travers les localités et douars, créant ainsi une véritable effervescence au sein de la population qui alimenta la soif de déclencher une lutte armée.

Constitution des groupes de choc

Des contacts furent entrepris entre les responsables du mouvement national algérien au niveau local, afin de coordonner les actions à mener contre les colons. Cette effervescence inhabituelle de la population algérienne fit pressentir à l’administration coloniale que la vie des français est en danger et prit rapidement des mesures de sécurité, en faisant évacuer de la ville de Kherrata tous les Algériens afin de prévenir toute réaction ou manifestation éventuelle de leur part.

C’est ainsi que la journée du 8 Mai1945 a été marquée par plusieurs actions contre l’occupation coloniale à Kherrata, où des centaines d’Algériens ont encerclé le centre de la ville où des groupes de chocs ont été constitués chacun en charge d’une mission, à savoir se procurer de l’essence pour incendier des immeubles officiels, tels que le bureau de poste, le tribunal et la mairie, ainsi que les résidences des colons. Un autre groupe a été chargé d’encercler la brigade de gendarmerie et la villa «Dussaix» pour les incendier également et récupérer des armes pouvant s’y trouvait.

Enfin, le dernier groupe devait contacter la population du douar «Riff» à Taskriout, pour bloquer la circulation sur la RN9 dans les gorges du Chabet El-Akra en installant des troncs d’arbres à travers la chaussée à hauteur de la cascade de Laïnser Azegza, pour empêcher le passage de renforts militaires éventuels. Entre-temps, les opérations projetées par les patriotes ont commencé. Le tribunal a été incendié pour récupérer les armes saisies et déposées par les autorités françaises.

Des coups de feu ont été tirés sur le boulanger Grammand et le juge de paix qui furent abattus l’un devant son local commercial et l’autre sur son balcon et, enfin, le postier. Devant l’ampleur des événements, les autorités françaises font appel à leur arsenal de guerre dépêché à partir de Sétif. Dès son entrée dans la ville de Kherrata, il ouvrit le feu sur tout Algérien en vue, sans distinction d’âge, ni de sexe avant d’incendier les douars environnants par l’aviation. À travers Kherrata et les douars de la commune, les informations ayant trait aux heurts qui se sont produits au centre de la ville se propagèrent rapidement au sein de la population algérienne, des nouvelles incontrôlables circulaient à travers toute la région.

Des événements considérés par les autorités françaises comme un soulèvement populaire et une déclaration de guerre à leur encontre et devant ce mouvement insurrectionnel algérien. Des centaines de personnes ont été tuées par l’occupant, n’épargnant ni enfants ni femmes et personnes âgées. Les premiers martyrs furent, entre autres, la famille toute entière de Saïd Allik, le seul rescapé de la tuerie collective opérée par l’armée coloniale et de plus se produisait devant lui. À cela s’ajoutent d’autres victimes de cette vague de tuerie collective, tels que les nommés El-Khier Chibani abattu à bout portant par un colon, Kaci Bekhouche, Saïd Lakhdar… La liste est longue.

Le massacre

L’arrivée de la légion étrangère appuyée par l’aviation changea les rapports de force en faveur des colons qui se transformèrent rapidement en groupes de milices. Des milliers d’Algériens trouvent la mort dans leurs fuites éperdues pour se mettre à l’abri des bombardements et les milices françaises se chargèrent ensuite de «nettoyer» les abords de la ville en tirant sans sommations sur tout musulman en vue. Devant ce déluge de feu, la population algérienne se refugia dans les montagnes environnantes pendant près d’une semaine.

L’armée française mena une opération de grande envergure, tels que le pilonnage des villages et douars, depuis les monts de Babors jusqu’à Melbou. Des campagnes de «razzia» organisées par la légion étrangère et les milices causèrent d’énormes massacres en vies humaines, des familles algériennes toutes entières décimées, les maisons incendiées, les récoltes rasées, même les animaux n’ont pas été épargnés.

Les tueries de masse à Kherrata furent suivies par des appels des autorités françaises pour tenter de rassembler les réfugiés leur promettant la vie sauve. Exténuées, meurtries, les populations se rendirent en ville où elles furent parquées dans des centres de concentrations érigés à cet effet à proximité de l’oued Agrioune, au centre de la ville à hauteur du stade communal, où un triage fut opéré pour identifier les patriotes et les meneurs de «troubles». C’est, ainsi, que plusieurs Algériens furent exécutés sur place tels que des membres de la famille Bessouh et autres victimes parmi la population algérienne. Des prisonniers ont été dirigés à la brigade de gendarmerie où ils furent torturés dont les auteurs ont pratiqué des méthodes les plus atroces.

Le reste de la population demeura pendant longtemps dans ce centre de concentration où les femmes enceintes accouchèrent sur place. Plus vulnérables encore, les vieillards et enfants finirent par trouver la mort. Quant aux patriotes identifiés et soupçonnés d’être derrière l’insurrection populaire, ils furent arrêtés, faits prisonniers puis transférés dans les différentes prisons du pays après avoir été condamnés à mort par des tribunaux spéciaux et ils étaient nombreux à subir ce sort, à savoir Lahcène Bekhouche, Messaoud Amrane, Rabah Ramli, Arezki Manadi, Messaoud Aissaoui, Ali Aid, Allaoua Tahiat…

D’autres prisonniers dont le dirigeant du mouvement nationaliste algérien Hanouz Mohand-Arab avec ses trois fils ont été transportés au niveau du pont de Chabet El-Akra où ils ont été exécutés pour finir leurs chutes au fond du ravin, un site devenu un véritable dépotoir macabre. Comme pour perpétuer ce message d’horreurs, l’auteur de ces forfaits grava son empreinte sur le flanc d’une montagne «Légion étrangère» avec son triste sigle représenté par une grenade ouverte, voulant ainsi symboliser sa terreur et sa domination sur la volonté de la population de Kherrata et sa région désarmée. Ce qui restait encore valide de cette masse humaine avait été contraint de se rendre à pieds sur les côtes du village de Melbou, situé à une quinzaine de kilomètres de Kherrata. En décidant un tel rassemblement, l’occupant avait pour but de faire une démonstration de force, de terroriser davantage cette population et d’obtenir ainsi par la contrainte un acte de soumission.

Les bombardements depuis les navires de guerre accostés au bord de la mer, les parades de l’aviation constituèrent le théâtre de ces horreurs subies par cette partie du peuple algérien sous les ordres d’officiers supérieurs de l’armée coloniale dépêchés sur les lieux en la circonstance. Au retour de Melbou, cette population déjà exténuées par la fatigue, la marche forcée, la faim, les blessures, subit encore les assauts des milices coloniales jusqu’à l’arrivée à Kherrata, les coups assénés à l’aide de barres de fer et de fusils et autres actes de violence causèrent un nombre important d’autres victimes et de blessés graves.

S. Zidane

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