Les avatars d’une gestion au pifomètre

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Le visage de cataclysme et les scènes de fin du monde qu’ont offerts, à la fin de la semaine passée, certains villages et villes d’Algérie suite aux pluies d’automne sont-ils une imparable fatalité ou une inénarrable réalité d’une gestion dévoyée de l’espace et du bâti ? Les tentatives d’explications par les changements climatiques – un thème en vogue dont on risque de galvauder la complexité et le sérieux – ne tiennent décidément pas la route du fait que les forfaitures en matière d’urbanisme, du cadre de vie et de protection de l’environnement, sont des phénomènes patents que l’on ne saurait taire ou dissimuler. À qui peut-on faire croire que le boulevard Krim-Belakcem de Tizi Ouzou ne constitue pas un réceptacle d’eaux induit par la topographie des lieux ? Les issues d’évacuation des eaux pluviales sont obstruées par des constructions dont la linéarité n’offre aucune brèche. Il se trouve que depuis les grands phénomènes de déforestation charriés par les incendies de ces dernières années, ce genre de cloaque ne reçoit pas seulement de l’eau, mais des coulées de boue à la manière de la lave volcanique. La catastrophe de Bab El Oued où les versants de Z’ghara et de Beaufraisier ont été arrachés sous forme de tonnes de boue et de vase est encore présente dans les esprits. De même, il y a une année jour pour jour, une partie de la région de Ghardaïa a été enterrée sous la boue entraînant des dizaines de morts et la destruction de milliers d’habitations. Les aménagistes sont formels : le système ancestral de gestion de l’espace mozabite – ingénieux et inspirée des lois de la nature – a été gravement bousculé dans ses fondements par une gestion approximative et tortueuse tenant de la navigation à vue. Sur l’ensemble du territoire national, des dizaines de personnes ont trouvé la mort, des dizaines de maisons ont été détruites et des centaines de têtes de cheptels ont été dècimées par les pluies somme toute saisonnière mais qui ont surpris les populations et les pouvoirs publics du fait de l’état d’impréparation qui a caractérisé la gestion des espaces et des infrastructures. Dans la conception démocratique du mode de gouvernance, la gestion de la cité n’est pas seulement faite d’espaces à occuper, d’emplois à créer et de salles de fêtes à animer. C’est aussi et surtout la protection des biens et des personnes contre toutes sortes d’agressions qu’elles viennent de la nature – laquelle n’a jamais fait de cadeaux à l’humanité – ou de la société elle-même, lorsque les normes et la morale qu’elle s’est tracée se trouvent quelque part ébranlées ou biaisées. Où sont les règles de prévention et les mécanismes d’intervention que sont censés mettre en œuvre les pouvoirs publics dans des situations de catastrophes naturelles? Certains exemples, récents ou lointains, nous montrent qu’une telle stratégie – supposant des scénarios, des simulations, des schémas d’intervention et des moyens appropriés – demeure des plus aléatoires. La plupart des communes rurales sont démunies de moyens rudimentaires pour faire face aux caprices de la nature ou désordres issus de la gestion de l’espace. La neige “historique’’ qui avait immobilisé la vie des populations de la montagne kabyle pendant l’hiver 2004/2005 – où l’intervention de l’ANP avait pu libérer une partie des villages – est l’exemple flagrant de l’état d’abandon dans lequel sont plongées des communes abritant pourtant des dizaines de milliers d’habitants. C’est l’ensemble de la société qui est interpellé – avec le monde associatif, les élites scientifiques, les élus et l’administration centrale – pour faire prévaloir une nouvelle culture bâtie sur les principes de la bonne gouvernance, un cadre de vie sain, un aménagement du territoire basé sur l’équilibre physique et biologique des ressources et une économie qui pourra soutenir, autant que faire se peut, les contingences de « l’entropie » rampante.

Amar Naït Messaoud

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