Vers l’élargissement du champ d’action ?

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Les médiateurs judiciaires de la wilaya de Béjaïa, élargis aux sections d’Akbou, Sidi-Aïch, Kherrata, Amizour et du chef-lieu, se sont réunis, samedi dernier, au siège de la Cour. Les présents ont adopté, à l’unanimité, les résolutions du plan d’action pour l’année sociale 2019/2020. Un plan d’action qui vise essentiellement à promouvoir la médiation à Béjaïa, voire dans tout le pays.

«Compte tenu de la mission du service public des médiateurs judiciaires mettant en commun, dans un but non lucratif, leurs connaissances et leurs moyens pour améliorer les activités dans les domaines, notamment social, culturel et humanitaire et, forts de leurs atouts et potentiels, les membres présents, en s’appuyant sur un processus clairement défini, se sont penchés sur cinq axes stratégiques devant répondre à un ensemble de besoins dans le but d’atteindre les résultats escomptés : la médiation conventionnelle, la médiation sociale, la médiation familiale, la médiation pénale (délits et contraventions) et la formation des acteurs de la médiation (juges et avocats)», apprend-on de Mohamed Khimoum, président des médiateurs judiciaires de la wilaya de Béjaïa.

Selon lui, le plan d’action pour l’année sociale 2019/2020 est axé sur des objectifs à moyen terme, dont l’élargissement du champ d’intervention de la médiation judiciaire, de la prévention à la résolution des conflits en introduisant les affaires sociales, familiales et pénales (délits et contraventions), instauration de la médiation conventionnelle dite libre pour laquelle près de 1 000 médiateurs sont formés par des experts internationaux et des pionniers de la médiation. «La médiation conventionnelle ou libre n’est pas encore réglementée dans notre pays», regrette-t-il, signalant que les médiateurs judiciaires, saisissent cette opportunité pour ajouter une pierre à l’édifice en vue de faire naître ce mode de règlement à l’amiable.

«Il s’agit avant tout d’un processus «extrajudiciaire» par lequel les parties tentent de parvenir à un accord pour résoudre un différend sans passer par la case «justice». Aujourd’hui, la médiation ne doit plus être restreinte à son champ d’intervention actuel, mais doit s’élargir davantage. Donc, il est plus que nécessaire de revoir le cadre règlementaire pour la porter plus loin afin d’aboutir à une médiation conventionnelle où le médiateur, en tant qu’expert en relation, est choisi librement en dehors des tribunaux.

Indépendamment de cela, les freins sont nombreux dans la pratique actuelle de la médiation alors que le médiateur est censé être soigneusement encadré et par le «juge» et par le «législateur», explique-t-il. Ces entraves, détaille-t-il, sont de trois sortes : Les juges des tribunaux, contraints par la loi, recourent à la médiation mais pas toujours avec conviction ; Les parties (demandeur et défendeur) envers qui revient la décision d’accepter ou de refuser la médiation, n’assistent pas aux audiences ; Et enfin, les avocats craignant d’y perdre leur clientèle, pensent que la médiation leur enlève une partie de leurs prérogatives, sinon leur gagne-pain.

«Bien au contraire, une bonne collaboration entre le médiateur judiciaire et l’avocat se répartissant les rôles est un facteur de gain substantiel d’affaires pour l’avocat, selon l’adage ‘mieux vaut gagner un client qu’un procès’», souligne-t-il. Pour éviter un tant soit peu la déroute, poursuit-il, «nous nous sommes imposés quelques explications : Les parties au procès ne sont pas obligées de comparaître aux audiences «civiles» lorsqu’elles sont citées à comparaître devant le tribunal, étant représentées par leurs avocats (article 20 du CPCA) ; lorsque les parties ne comparaissent pas à l’audience, le juge, contrairement à la loi, propose la médiation à leurs conseils qui la refusent systématiquement, craignant de perdre leurs clients.

Pourtant, d’après l’article 27 du Code de procédure civile et administrative, le législateur a consolidé les pouvoirs du juge et lui a conféré le droit d’ordonner à l’audience la «comparution personnelle des parties». Selon notre interlocuteur, «des propositions visant à valoriser et à faire connaître le métier de la médiation sociale (appelée autrefois prud’homale) et ses perspectives se présentent de la façon suivante : Au cours de l’assemblée générale ordinaire, les médiateurs judiciaires demandent au ministère de la Justice de dresser un état des lieux de la médiation sociale, branche par branche, en liaison avec les ministères concernés, et examiner pour chacune d’entre elles, les potentiels à son développement».

Pour ce faire, ajoute-il, il est impératif que les médiateurs aient à traiter des cas «d’exécution, suspension et rupture des contrats de travail, de formation ou d’apprentissage, contentieux des élections des délégués du personnel, différends relatifs à l’exercice du droit syndical, différents relatifs à l’exercice du droit de grève, contentieux de la sécurité sociale et des retraites, contentieux relatifs aux conventions et accords collectifs de travail.»

Plaidoyer pour améliorer et garantir les conditions d’exercice du métier de médiateur

Dans un document rédigé au terme de leur réunion, les médiateurs judiciaires suggèrent «d’améliorer et de garantir les conditions d’exercice du métier de médiateur dans le domaine social en procédant à la modification des dispositions de l’article 19 de la loi n° 90-04 du 6 février 1990 relative au règlement des conflits individuels de travail, lequel dispose : «Tout différend individuel de travail doit, avant toute action judiciaire, faire l’objet d’une tentative de conciliation devant le bureau de conciliation.»

Les médiateurs judiciaires demandent à ce que la priorité leur soit donnée pour résoudre les litiges avant que les couples ne décident d’aller se séparer devant le juge. «En effet, selon l’office national des statistiques (ONS), 68 000 cas de divorce sont enregistrés au niveau national par les tribunaux en 2017, et les litiges de tous ordres sur lesquels les juridictions doivent se prononcer pour les régler ne cessent de s’accroître. Des chiffres effarants et les conclusions de l’enquête de l’ONS le montrent assez bien.

À quoi sert la médiation familiale ? Une séparation n’est jamais une période facile et aboutit souvent devant le juge. Pourtant, il existe une solution amiable : la médiation. Dans une médiation, ce sont les «parties» en conflit qui ont la clé pour trouver une solution et ce n’est pas le «juge» qui doit trancher.

C’est une vraie différence de philosophie. Le sens du contact, de l’écoute ainsi que le tact sont des qualités que possède aujourd’hui le médiateur judiciaire. Dans cette perspective, les médiateurs interpellent le ministère de la Justice pour revoir la règlementation et prendre les mesures nécessaires afin de procéder à la modification des dispositions des articles 439 et suivants du code de procédure civile et administrative, qui consacre la tentative de conciliation au juge», insiste-t-on.

La formation des acteurs de la médiation : juges et avocats

Pour les médiateurs judiciaires de la wilaya de Béjaïa, l’implantation de la médiation dans les tribunaux commence par une formation des acteurs de la médiation, c’est-à-dire les juges et les avocats. «Comment concevoir qu’un magistrat puisse proposer la médiation au ‘justiciable’ ou qu’un avocat la conseille à son client s’ils en ignorent l’intérêt qu’elle peut présenter dans la résolution des litiges ? Le respect de ces acquis est le gage de la réussite de la médiation, et c’est sur ce socle qu’une politique nationale pourrait s’appuyer.

Si l’on veut une médiation de qualité, il est indispensable de prévoir une formation obligatoire sur les modes alternatifs de règlement des conflits», plaide-t-on. Dans le même ordre d’idées, estime-t-on, «les juges n’ont pas pour fonction unique de ‘trancher des procès’ et les avocats de ‘faire ces procès’, ces deux fonctions ont pour objectif d’aider les citoyens à résoudre leurs problèmes.»

À leurs yeux, note-t-on, «le volet de la formation occupe une place importante dans la stratégie menée par l’État algérien en partenariat avec l’Union Européenne qui s’est attelé autour d’un programme de formation basé sur quatre modules : la formation de base, la médiation avancée, la formation de formateurs en médiation, et l’Ingénierie pédagogique pour formateurs à la médiation. C’est ainsi qu’à travers le territoire national, plusieurs centaines de médiateurs judiciaires issus de toutes les régions du pays, ont bénéficié de plusieurs cycles de formation aux techniques de la médiation durant les années 2010, 2013, 2015, 2016, 2017, 2018 et 2019.»

F. A. B.

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