Les producteurs de pomme de terre désorientés !

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Le président de l’association des maraichers de la wilaya de Bouira, M. Messaoud Boudhane, tire la sonnette d’alarme sur la mévente de la récolte de pomme de terre cette saison. Avec des prix oscillant entre 20 et 30 DA pratiqués sur les marchés, les producteurs de pomme de terre sont au bord de l’asphyxie.

«La saison est plus que prometteuse, mais cette abondance est presque une malédiction pour les producteurs qui connaissent des pertes allant de 20 à 25% à cause de la mévente et d’absence de conditions de stockage. Il n’y a hélas pas d’écoulement de la pomme de terre et le SYRPALAC est inexistant depuis bientôt trois ans. On entend parler du SYRPALAC mais on déplore son absence sur le terrain au niveau de la wilaya de Bouira», déclare M. Boudhane. Par ailleurs, la production s’avère plus qu’excellente pour cette récolte avec des pics de rendement de 500 quintaux à l’hectare. «C’est une moyenne qui varie entre 480 et 500 quintaux par hectare. Le prix de revient pour un hectare est de l’ordre de 110 millions de centimes. Il s’agit là de notre investissement ce qui revient à dire que le kg de pomme de terre nous revient entre 27 et 30 dinars, selon le rendement. Malheureusement, certains producteurs de pomme de terre qui, pour éviter les pertes sèches, l’ont vendu à 14 et 15 DA sur les champs. Nous avons connu un pic de vente à 25 dinars mais aujourd’hui (vendredi 21 juillet ndlr), la pomme de terre est cédée dans nos exploitations à 22 dinars», déplore M. Boudhane. Cet état de fait serait d&ucirc,; selon notre interlocuteur, à l’absence de mécanismes pour absorber le produit : «Il n’y a pas d’organisation dans cette filière. Normalement, un producteur ne doit pas se transformer en commerçant ! Si je dois m’occuper de 100 hectares de tubercules, je ne vais pas m’amuser à emmener quotidiennement ma marchandise au marché en attendant le chaland ou attendre toute la journée au milieu du champ de patates qu’un hypothétique acheteur vienne prendre ma marchandise. Si on veut le développement de cette filière ce n’est pas de la sorte qu’on pourra s’en sortir. Le jour où la pomme de terre est disponible, nous devrions avoir un endroit bien déterminé pour aller la vendre, comme cela se fait pour les céréales, afin de récupérer notre investissement et nous consacrer par la suite entièrement à l’autre saison. Imaginez-vous, d’ici quelques jours, fin juillet exactement ce sera la préparation de nouvelle récolte de l’arrière-saison. Est-ce que le producteur de pomme de terre va se lancer dans la perspective de préparer l’arrière-saison ou devra-t-il s’occuper de la vente de sa production et de savoir comment va-t-il l’écouler et à quel prix ? Nous sommes désorientés face à ce dilemme», soulignera notre interlocuteur. «Je dispose d’informations au niveau national et je peux vous affirmer que sur les 38 wilayas qui produisent de la pomme de terre, chaque année la superficie destinée aux tubercules diminue sensiblement. Pourquoi ? Car tout simplement de nombreux producteurs de pomme de terre font faillite. Les sociétés privées qui vendent les produits phytosanitaires et engrais ont reçu des chèques des producteurs avant d’entamer la campagne et après la saison, ils étaient incapables d’honorer le paiement des produits acquis. Dans certain cas, les propriétaires de ces sociétés privées ont fait montre de compréhension en prolongeant les délais de paiement, sinon pour d’autres, c’est la justice qui a tranché sur leur sort avec des peines de prison à la clé. Je signale, par ailleurs, que les producteurs de pomme de terre ne sont pas les seuls dans ce cas de figure. C’est la même chose aussi pour les producteurs de tomates. À vrai dire, la filière maraichage en général est en difficulté. Lorsque la production arrive à maturité, le producteur perd et la récolte se perd également. Quelques jours plus tard, lorsque le produit enregistre des pics sur les marchés à cause de l’indisponibilité du produit, la presse aussitôt décrie cet état de fait», explique le président de l’association des maraichers de la wilaya de Bouira.

Alerte à l’asphyxie !

M. Boudhane se souvient que pour l’année dernière, lors de la récolte de la pomme de terre d’arrière-saison, les producteurs de pomme de terre avaient été diabolisés par la presse alors que le tubercule frôlait les 100 DA le kilo sur les marchés : «Il y a eu une récolte que les producteurs de pomme de terre ont vendu entre 35 et 40 DA le kg lors de l’arrière-saison et la presse s’est emparée de l’affaire en nous diabolisant. Les officiels sont intervenus ensuite pour savoir pourquoi les prix avaient atteint des sommets jamais inégalés sur les marchés. Je vais vous dire pourquoi la pomme de terre était chère à cette saison. Durant deux années et pendant les quatre dernières récoltes, les producteurs de pomme de terre ont connu des pertes sèches inestimables. Lors de l’arrière-saison, le producteur n’a pas gagné de l’argent, il s’en est sorti indemne en pouvant éponger ses dettes», fera-t-il savoir. Les professionnels de la filière pomme de terre ont interpellé l’ensemble des autorités, nous apprend M. Boudhane qui rassure que la politique du gouvernement n’est pas contre les agriculteurs : «La DSA ne peut rien faire. Nous, en tant qu’association des maraichers, avons adressé différents rapports au ministère de l’Agriculture au début du mois de juillet pour les informer de la situation. Car pour le consommateur, si la pomme de terre est chère, c’est l’agriculteur qui est à l’origine de cette inflation. Cependant, si elle est bradée, personne ne se soucie du producteur. Si la situation perdure, je crois que c’est la fin de la filière pomme de terre. On nous désigne comme ayant perçu des subventions de l’État. Je peux vous affirmer que nous n’avons rien reçu, à part la remise de 20% sur l’engrais lorsqu’il était à 2 500 DA. Aujourd’hui, il coûte 10 000 DA le quintal», se défend le président de l’association des maraichers.

En attendant l’exportation !

Il faut dire que depuis la mise en service du périmètre irriguée, les agriculteurs de Bouira s’estiment satisfaits et envisagent l’extension de leurs cultures respectives : «Le périmètre irrigué est une aubaine pour nous autres agriculteurs. À El Esnam, nous avons le plateau qui s’étend sur 2 400 hectares, celui d’Aïn Bessem avec son extension avoisine les 4 000 hectares et dans le futur, la wilaya de Bouira comptera entre 16 000 et 20 000 hectares de terres irriguées. C’est une chance inouïe mais si la production n’est pas prise en charge pour être écoulée à temps, nos efforts sont voués à l’échec. Pour cela, il faut une feuille de route surtout pour les produits essentiels, comme c’est le cas pour les céréales. Il faut créer la même chose pour la pomme de terre, pour le lait ou pour l’aviculture. L’aviculture connait ces derniers jours une crise sans précédent. Si on continue dans ce secteur pour développer la filière pomme de terre, c’est bien mais il ne faut pas régresser dans la politique. L’idéal ce serait de recourir à l’exportation de nos pommes de terre et réfléchir aux mécanismes permettant cette solution pour développer la filière, puisque nous sommes parvenus à couvrir le marché national. Ceux qui importent de la semence de pomme de terre, leurs registres de commerce s’intitulent «import-export». Ils importent de la semence mais devraient également exporter notre produit qui est de très bonne qualité. Notre pomme de terre est demandée sur les marchés internationaux comme c’est le cas pour la Russie, l’Espagne, les pays du Golf, mais rien n’a été fait pour l’exporter. Il faut que l’Etat s’implique pour développer cette filière et créer une feuille de route qui permettra de préserver notre production et faire gagner des rentes en devises pour les caisses du Trésor Public», espère M. Boudhane. La production de pomme de terre à travers la wilaya de Bouira ne cesse de prendre de l’ampleur comme nous l’avait affirmé récemment M. Ganoun Djoudi, directeur des services agricoles de la wilaya de Bouira. D’ailleurs, la wilaya est classée sixième à l’échelle nationale en matière de production de ce tubercule et la superficie réservée annuellement à la pomme de terre au niveau du territoire de la wilaya de Bouira est de 5 000 hectares. 3 000 hectares pour l’arrière-saison et 2 000 hectares pour celle de saison, car il y a deux périodes pour la récolte. De ce fait, la DSA de Bouira a lancé l’idée de créer une troisième saison qui sera celle de la pomme de terre primeur en dépêchant ses techniciens pour sensibiliser les agriculteurs. Ainsi, avec l’adhésion des producteurs de pomme de terre, une autre saison destinée à la pomme de terre primeur est envisagée. Il suffit que les producteurs de pomme de terre décalent légèrement la date de l’arrière-saison par rapport à la saison pour créer une période intermédiaire jugée propice pour la primeur. Une saison qui se situerait entre la fin janvier jusqu’à la fin du mois d’avril. Au niveau de la wilaya de Bouira, il a été recensé onze semenciers, établissements de semences et plus d’une quarantaine de producteurs avec certains qui disposent de fermes permettant l’exploitation de 200 hectares de pomme de terre. Devant un tel potentiel et une production allant crescendo, le DSA de Bouira mise essentiellement sur le renforcement des capacités de stockage de froid : «Nous possédons actuellement 37 chambres froides d’une capacité de 120 000 m3 et l’objectif à l’horizon 2020 est d’atteindre les 250 000 m3 à travers toute la wilaya», indique M. Ganoun, en soulignant la nécessité impérative d’investir dans ce créneau au vu des capacités de productions diverses que recèlent la wilaya.

Hafidh Bessaoudi

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