Au niveau de la wilaya de Bouira, le plus célèbre groupe de pirates informatiques se fait appeler les «Byt Killer», Il se compose de six éléments dont l’âge ne dépasse pas la trentaine.
Parmi les produits très répandus au niveau du commerce informel de Bouira, les supports numériques tels que les CD/DVD piratés arrivent en tête. En effet, ces produits de large consommation partent comme des petits pains, et les citoyens tous âges confondus sont très demandeurs, preuve en est, certains vendeurs à la sauvette sont souvent en rupture de stock. Cependant, comme chacun le sait, ces supports sont issus, la plupart du temps, pour ne pas dire systématiquement, du piratage avec ce qu’ils implique comme risques et désagréments. Toutefois, les consommateurs ne semblent pas être inquiétés par ce genre de considérations, comme le notera Habib, étudiant de son état : «Produits pirates ou pas, ce qui m’intéresse c’est le prix et le contenu. Et puis, on vit dans une société ou tout y est contrefaits, alors…». Afin de comprendre les raisons de ce succès, il est nécessaire de se poser quelques questions clés, à savoir : Qui est derrière cette «industrie» du piratage ? Quelles sont les mécanismes de fabrication d’un support piraté et enfin, comment ces «hackers» parviennent à écouler leurs marchandises ?
Les «Robins des Bois» de la toile
Au niveau de la wilaya de Bouira, le plus célèbre groupe de pirates informatiques se fait appeler les «Byt Killer», cette «team» se compose de 6 éléments, ne dépassant pas la trentaine. L’un des membres de cette équipe, Ali, signalera : «Ce qu’on fait là c’est en quelque sorte une initiative culturelle !», « Faire découvrir aux gens les nouvelles productions cinématographique, les nouveaux logiciels…etc. C’est une passion et aussi un engagement », expliquera-t-il. Il est vrai qu’a l’instar des autres régions du pays, Bouira ne dispose pas d’un cinéma, ou bien de boutiques spécialisées et agrées dans l’informatique. Selon cet interlocuteur, les pirates sont là dans le but d’offrir des nouveautés aux citoyens, des nouveautés qu’ils ne peuvent nullement se procurer par les canaux officiels de distribution. Au quartier général de cette bande de petits génies, une modeste cave d’immeuble, c’est un véritable arsenal de micro ordinateurs, des files qui pendouillent d’un peu partout, et une immense «armoire»… Cette dernière, attira notre attention ! En voulant en savoir plus, notre guide Ali, alias «deathnote» – référence à une série d’épouvante- signalera : «Cette armoire comme vous dites, est un serveur, jumelé à un centre de stockage. Elle sert en quelque sorte de passerelle entre le trafic de donnés. En d’autres termes, ce serveur est une sorte d’autoroute du trafic internet. Sans cet outil, notre activité serait réduite à son strict minimum ». A propos du coût de ce serveur, notre interlocuteur révélera : «On a tous cotisé pour se payer ce petit bijou. D’ailleurs, il nous a coûté la rondelette somme de 130 000 Da !». Outre ce serveur, cette cave abrite une sorte de modem, qui ne ressemble en rien à celui utilisé par l’internaute lambda. « Ceci, est une box ! C’est un ami qui réside en France qui nous l’a ramené. Elle peut traiter un flux de 10 Mégabyte/seconde. Pour vous donner un comparatif, c’est cinq fois plus que nos modems classiques ». Au sein de cette «team», chacun a des responsabilités bien définis, Omar s’occupe du volet logiciels, Farid des sorties cinéma, la partie commerciale à Kamel…etc. Ce dernier, dira avec une pointe d’humour : «On est les robins des bois du net !» S’agissant de l’acte de piraterie en lui-même, ces hackers ne manquent pas de ressources ! Tout y est ou presque… Cinéma, musique, logiciels, séries TV…etc. : «Le net grouille de nouveautés, il suffit juste de s’y intéresser et avoir quelques notions de base», notera notre guide. Avant d’ajouter : «Les logiciels peer to peer »… Avant de marquer un temps d’arrêt, devant notre stupéfaction quant à la signification de ce mot : «C’est un anglicisme qui veut dire de pirate à pirate. Je m’explique, ces logiciels, à savoir les peer to peer, sont des outils de téléchargements, qui servent à capter les données envoyées par différents hackers des quatre coins du globe. C’est aussi cela, la magie du web». Avant de poursuivre : «Ces logiciels sont totalement gratuits et accessibles à tout un chacun. Cependant, c’est le produit qui est mis en téléchargement qui pose problème …», «Pour vous donnez une idée simplifiée, imaginez que chaque internaute mette en ligne une donnée précise, films, chansons, logiciels ou autre… Cela serait une pagaille générale ! C’est là que nous intervenons, notre mission est de faire le tri !». Au détour d’un ordinateur, un programme qui tournait sans cesse attira notre curiosité : «C’est l’un des fameux logiciels de captation des données, il s’appelle ‘’ uTorrent ‘’, c’est grâce à ce petit logiciel d’à peine 300 ko, qu’on arrive à télécharger». Concernant le processus de fonctionnement de ce réseau peer to peer ou ‘’ P2P’’, Ali expliquera en substance que ce réseau est une gigantesque toile d’araignée, et que chaque pirate contribue à sa façon pour l’enrichir. : «Je prends exemple des sorties cinématographique, ici à Bouira et partout ailleurs en Algérie, les consommateurs n’ont pas la chance d’apprécier les derniers blockbusters… Contrairement à ce qu’il y a en France par exemple. C’est dans cette optique de partage, que nos camardes français, canadiens et autres font ce qu’on appelle dans le jargon des pirates un ‘’screneur’’, ce qui signifie littéralement une captation d’écran à partir des salles obscures, et ils les envoient via le réseau P2P». Avant d’enchaîner : «Pour les logiciels, c’est un peu plus complexe… On télécharge la version grand public et payante, ensuite, on essaie de la cracker ! C’est-à-dire, faire sauter le verrou du payement ! Après quoi, il ne nous reste plus qu’à les graver sur un support CD/DVD». Par ailleurs, les membres de «Byt Killer» ne se limitent pas aux films, musiques et logiciels, ils s’attaquent aussi aux Smart phones. D’ailleurs, Farid fait partie de la célèbre équipe de développeurs et initiateurs du «Jailbreak» des appareils d’Appel, la «Dev-Team» : «Je suis ingénieur en informatique de formation, de ce fait, j’ai quelques notions en architecture de réseau téléphonique. Cependant, dans notre pays les talents ne sont guère reconnus… Alors, je monnaie mes services, en débloquant les Smart phones qui proviennent de l’étranger. C’est un moyen comme un autre de gagner sa vie», notera-il d’un air résigné.
Business is Business…
Ces pirates informatiques, en plus d’être des pros de la «bidouille», sont aussi de redoutables marketeurs. Ils ont constitué leur propre réseau de distribution, et se partagent les bénéfices de leur commerce. «Il ne faut pas se leurrer, certes le principe du partage et de l’échange sont nos principaux moteurs, néanmoins, pour continuer à produire davantage et améliorer la qualité de nos produits, il faut impérativement faire rentrer de l’argent !», soulignera Ali. Et d’ajouter : «Au fil du temps, nous avons pu créer une micro entreprise, à savoir une production significative diverse et variée, ensuite, nous avons contacté des commerçants formels et informels, entamé des négociations et enfin, trouvé des accords afin d’écouler notre marchandise !» . Notre introducteur du haut de ses 27 ans, parlait comme un véritable chef d’entreprise : «Vous voyez cette cave, et bien on l’a autofinancé avec tout ce qu’elle comporte comme ordinateurs, serveurs, connexion Internet…etc. Il faut bien à un moment ou un autre, rentabiliser cet investissement !». Avant de conclure : «Entre le prix des CD/DVD vierge, qui avoisine les 15Da l’unité le prix du graveur CD qu’il faut toujours entretenir, le prix des jackets et couverture des supports, en plus de la commission prise par les vendeurs… Sur les 120 da du prix d’achat, on encaisse 55 Da… !».
Illégale… Et alors ?
Enfin, il est utile de rappeler que ce genre de pratique est tout simplement illégal aux yeux de la loi, en témoigne l’ordonnance n° 10 du 27 Chouel 1417 correspondant au 6 mars 1997 relative aux droits d’auteur et aux droits voisins, qui stipule en ces articles : 151 jusqu’à 158 qu’«est coupable du délit de contrefaçon quiconque : Reproduit une œuvre ou une prestation par quelque procédé que ce soit sous forme d’exemplaires contrefaits, vend des exemplaires contrefaits d’une œuvre ou prestation» , «Le coupable du délit de contrefaçon … est puni d’un emprisonnement de six (06) mois à trois (03) et d’une amende de cinq cent mille (500.000 DA) à un million (1000.000 DA) de dinars, que la publication ait lieu en Algérie ou à l’étranger» … etc. Cependant, cela ne semble pas refroidir les ardeurs de ces pirates… L’un d’entre eux dira d’un ton ironique et narquois : «Catche me if you can !», en référence à une œuvre de Steven Spielberg, qui signifie littéralement : «Attrape-moi si tu peux !»
Ramdane B.