Des dits de Chikh Mohand

Partager

Nature laïque de la cité kabyle

Par Abdennour Abdesselam:

De tradition en Kabylie, la mosquée est réservée exclusivement au culte où domine le seul rapport à Dieu. La pratique religieuse ne déborde jamais sur le système de gestion de la cité. La spiritualité et le pouvoir administratif s’exercent alors séparément et sans interférence. De cela, la société kabyle vit une paix religieuse visible malgré quelques bouleversements induits présentement mais sans influence sérieuse. Elle demeure encore aujourd’hui une société laïque. Même les ordres confrériques à base religieuse fonctionnent encore de nos jours dans le respect des valeurs et traditions sociales ancestrales. Pour Mouloud Mammeri dans «culture du peuple ou culture pour le peuple» : «Ces institutions (les confréries) ont réussi à s’implanter dans la région en s’inspirant des pratiques antérieures à l’Islam». Leur adaptation s’intégrait à la fois aux réalités sociales qui concernent la consécration de la notion de propriété le respect des types d’organisations sociales et administratives, aux réalités culturelles par l’affirmation, la célébration et le respect des rites et mœurs païens traditionnels en cours et enfin aux réalités linguistiques sur l’usage reconnu et même élevé de la langue kabyle. Le cas de Chikh Aheddad chef de la confrérie Tarehmanit, un des maîtres du verbe kabyle, est des plus éloquents. C’est ce qui a garanti leur coexistence harmonieuse avec la pensée kabyle d’où la pratique d’un islam dit «islam kabyle». Chikh Mohand a fixé cette observation devenue légendaire en disant : «Taqbaylit d rray, ddin d nniya». Une définition on ne peut plus claire du concept de laïcité contrairement à celles ambigües données par moult dictionnaires. Notons que même le titre de Chikh ne renvoyait pas systématiquement à l’annonce d’un homme de culte de fonction. C’est le cas précisément pour Mohand Oulhoucine. Le titre de «chikh» qui lui a été attribué n’a pas la même signification ni la même valeur donnée habituellement à un homme de culte, de sainteté ou encore appartenant à un ordre donné. Le mot «chikh», emprunté à la langue arabe, perd sa signification de promoteur de la spiritualité. Dans le cas de Mohand Oulhoucine, il signifie une personne qui a accédé aux profondeurs de la pensée kabyle ainsi qu’à la parfaite maîtrise de la langue et qui les enseigne en même temps avec beaucoup d’adresse. Pour la mission qu’il a remplie, sans doute que le mot approprié et originel, pour le nommer, aurait été «amussnaw» (sage, penseur ou philosophe). Ce terme n’était pas d’un usage courant. Le rôle était joué mais le mot originel n’accompagnait pas l’auteur du jeu. Le système linguistique kabyle a fini par broyer le sens spirituel du distinctif en sens séculaire.

A. A. ([email protected])

Partager