Tizi-Ouzou est l’une des wilayas du pays qui comptent le plus d’artisans. Mais pour la plupart d’entre eux, le quotidien est de plus en plus difficile. Rencontrés, hier, à l’occasion de l’ouverture du Salon national de l’artisanat, certains n’ont pas hésité pour raconter leurs difficultés et les entraves qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur profession. Qu’importe le domaine et les métiers artisanaux qu’ils pratiquent, les problèmes qu’ils rencontrent sont pratiquement les mêmes. Tizi-Ouzou, berceau de l’artisanat national, compte pas moins de 12 789 artisans recensés. Le salon, ouvert hier, compte parmi les événements où ils peuvent chercher une oreille attentive à leurs préoccupations et exposer leurs problèmes qui, parfois, menacent les fondements même de leur activité. Manque de matière première, absences d’espaces de vente ou encore le peu d’aide qu’ils reçoivent de l’état. L’un après l’autre, ils nous ont confié leur quotidien et les entraves qu’ils rencontrent. À les entendre parler, l’on voit que la passion est bien là palpable dans leur voix et dans la manière avec laquelle ils s’expriment et présentent leurs créations. Des produits en osier, qu’ils travaillent et tissent manuellement à longueur de journées. D’où résultent, à la fin de l’opération, de petites merveilles, comme celles exposées, hier, au niveau des stands qui leur ont été attribués au niveau du jardin public Colonel Mohand Oulhadj, à proximité du siège de la wilaya. O. Ahmed et L. Samir, d’Aïn Meziane à Betrouna, issues de familles ayant de tout temps travaillé dans la vannerie, n’ont pas hésité à s’initier à cet «art» pour en faire leur principale activité. Mais pour les deux jeunes hommes, qui sont dans le domaine depuis près de dix ans, «cela devient de plus en plus difficile», la vannerie faisant partie des métiers menacés de disparition. Et pour cause, la matière première, l’osier, se raréfie. Avec les quantités importantes nécessaires pour la fabrication des paniers, corbeilles, coffrets et autres accessoires de décoration, l’osier produit localement à proximité du barrage de Taksebt ou dans certaines autres régions du pays, à l’image de Sétif et Béjaia, se raréfie de plus en plus jusqu’à devenir introuvable, comme nous l’explique les deux artisans. Ils ne peuvent, désormais, travailler et maintenir en vie leur activité qu’en important la matière d’Espagne. Un procédé coûteux qui n’est pas à la portée de tout le monde. Pour un autre exposant, la solution réside dans la promotion de la production locale. « C’est simple, nous n’avons besoins que de terrains pour produire nous même notre matière première. Nous même, le faisons chez nous, mais la superficie est très limitée et, donc, nous ne produisons qu’une toute petite quantité qu’on garde les moments de crise», dira-t-il. Les deux artisans, la vingtaine à peine dépassée, expliquent avoir formulé une demande pour l’obtention d’un terrain. «Je ne me rappelle même plus quand j’ai formulé cette demande pour un lopin de terre, tellement cela remonte à des années. Mais jusqu’à présent, nous n’avons eu aucune réponse», explique, déçu, Ahmed, qui affirme pourtant : «Nous réclamons des terrains que personne ne peut exploiter, mais où l’osier trouvera son aise, à l’exemple des bordures du barrage».
Bijoutiers, potiers, vanniers… même situation
Autre solution, «l’importation de l’osier doit être l’apanage de l’Etat, et ce, pour minimiser les frais», ajoutera notre artisan. La bijouterie n’est pas mieux lotie. Pour H. Amar, exposant au même salon, l’Etat doit intervenir «pour solutionner le problème du manque de matière première et de sa cherté ». Que ce soit pour l’argent ou pour le corail, le constat est le même, ce n’est plus évident de se les procurer, indiquera le bijoutier pour qui, un autre problème se pose, désormais, pour lui et ses confrères, il s’agit de la hausse des impôts. « Moi-même on m’a réclamé 12%, cette année, alors qu’auparavant, je ne payais que 6%. C’est cela qui finira par achever certains bijoutiers qui se sont battus et ont résisté jusque-là pour exister». Aussi, et comme c’est le cas pour la vannerie, notre interlocuteur se plaint aussi de l’absence de surface pour vendre ses produits. Même si, explique-t-il, « certains ont la chance de disposer d’un local, il n’en demeure pas moins qu’un espace dédié spécialement à cette activité serait le bienvenu. Il permettra aux artisans de commercialiser leur produit, notamment en hiver, période difficile pour le métier». C’est le cas de l’ancien marché de la ville de Tizi-Ouzou, réputé pour réunir des centaines d’artisans de l’argent qui y viennent vendre leurs produits. C’est d’ailleurs pour cette raison, affirme son collègue, B. Slimane, qu’«un tel salon est une aubaine pour nous». Juste à quelque pas des stands où sont exposés les bijoux en argent, il y a ceux des produits de poterie. Des vases, des assiettes, pots de jardin et autres merveilles embellies par des signes et dessins ancestraux attirent les regards des visiteurs. A. Djamal, un exposant de Tirmitine, se réjouit de posséder une machine pour la transformation de la terre qu’il récupère par camion depuis Boudouaou. Une chance que ne possèdent pas ses confrères. «Moi, j’utilise les quantité de terre que je transforme, mais parfois, aussi, je la procure à d’autres artisans». Il souligne aussi l’existence d’une matière première importée, «mais en plus d’être chère (65DA le kg alors que celle localement produite est cédée à 6DA le kg), celle-ci est moins bonne et de couleur pâle ». Notre interlocuteur ne nous laissera pas repartir avant de souligner «le phénomène des intrus dans le domaine, qui cassent les prix du marché. Contrairement à nous, ils ne paient pas d’impôts et, du coup, ils se permettent de pratiquer les prix qu’ils veulent». Il affirme, en outre, que « l’été est la saison sainte des artisans, qui parviennent à récupérer, un tant soit peu, ce qu’ils n’ont pas réussi à vendre tout au long des autres saisons». Ils sont nombreux, les artisans de Tizi-Ouzou, toutes spécialités confondues, à se plaindre. Il suffit de leur ouvrir une brèche pour qu’ils se mettent à se confier, dans l’espoir de trouver des oreilles attentives, et par la même, des solutions. Et c’est d’ailleurs pour cela que le salon leur est d’une grande importance. Car même si, disent-ils, «la Chambre de l’artisanat est à notre écoute il est, désormais, de plus en plus difficile de garder notre statut d’artisan et de ne pas nous reconvertir à d’autres métiers beaucoup plus rentables».
Tassadit Ch.
