Le thème des droits de l’homme, tout en constituant une avancée prodigieuse dans l’organisation de l’homme en société demeure l’un des plus discutés au cours de ces dernières décennies à travers le monde, au vu des incidences politiques qu’ils charrie et des impératifs sociaux et économiques qu’il fait prévaloir. Adoptée le 10 décembre 1948 par les 58 États qui constituaient à l’époque l’Assemblée générale des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme est intervenue trois ans après la fin de la deuxième Guerre mondiale, l’un des conflits les plus meurtriers qu’ait connus l’humanité. Les guerres et d’autres formes de violence politique ont longtemps enfreint le premier droit dont puisse se prévaloir l’homme, à savoir le droit à la vie. Cela continue un peu partout dans le monde, là où les guerres ouvertes ou feutrées, menées par des États ou des groupes terroristes, sèment la terreur et la désolation. Mort, misère, malnutrition, exode dans d’autres pays de populations entières sont le lot de ces nouvelles victimes de la violation des droits de l’homme. En consacrant les 30 articles de la Déclaration universelle, l’Assemblée générale de l’ONU n’était pas partie du néant. Ses membres étaient instruits par la culture des Lumières, la pensée libératrice de l’homme qu’ont essayé de faire passer des philosophes, des écrivains et des penseurs, dans des sociétés figées dans le conservatisme, la pensée unique et l’autocratie. Ici, la première référence est sans conteste la première « déclaration des droits de l’homme et du citoyen » faite par les représentants du peuple français au lendemain de la chute de la royauté en 1793. C’est le long couronnement de la pensée des philosophes des Lumières, en France et dans toute l’Europe qui s’apprêtait à vivre sa révolution industrielle. Les mouvements de la société à la recherche de la paix et de l’égalité entre les citoyens, la maturité des luttes politiques, l’avancée de la réflexion culturelle sécularisée et le mouvement scientifique ont pu faire amorcer le début d’un long processus de libération de l’homme, celui de la consécration solennelle de ses droits. Un processus long, mais incertain. Rien n’était acquis. La preuve, c’est tout ce qui s’est passé entre la première déclaration de 1793 et la Déclaration universelle de 1948. Cette période est faite de colonisation, de guerres, de jacqueries réprimées dans le sens et de répression politique sous toutes ses formes. L’histoire de l’Algérie avec l’esprit des droits de l’homme a sans doute commencé avec les efforts du mouvement national pour se débarrasser de la logique coloniale qui avait consacré le déni même des droits de l’homme. Les textes de la révolution algérienne se sont largement inspirés de la culture des droits de l’homme, étant entendu que l’ambition de l’indépendance du pays était de consacrer les droits de l’homme dans notre propre pays. C’est au nom de ces droits que les Algériens s’étaient soulevés contre le colonialisme. À l’indépendance du pays, la dérive autoritaire, nourrie par un attachement démesuré et maladif au pouvoir, a fait fi des principes élémentaires des droits de l’homme. La liberté d’expression, de regroupement, d’association, de constitution de partis politiques étaient bannies pendant de longues années. De même, la constitution de grosses fortunes à l’ombre du « socialisme » rentier et la corruption ont remis en cause les principes de la justice sociale et des droits sociaux qui sont intimement liés aux droits de l’homme. Même si la société échaudée par la guerre de libération, puis « séduite » par la rente, n’avait pas montré beaucoup d’exigence par rapport à ce qui est appelé les droits de l’homme, les choses ont commencé à changer dès le début des années 1980. Le mouvement berbère d’avril 1980 a été la grande porte d’entrée de l’esprit des droits de l’homme en Algérie. Les revendications identitaires, culturelles et sociales portées par ce mouvement faisaient partie de la « littérature » et de l’esprit des droits de l’homme. L’autisme du pouvoir de l’époque et sa hâblerie ont tenté de détourner le mouvement de sa première vocation pour le présenter comme un mouvement « séparatiste » et « régionaliste », justement pour le dépouiller de la philosophie qui le nourrissait, celle des droits de l’homme. Peine perdue. Cinq ans plus tard, l’élite culturelle kabyle investira frontalement le terrain des droits de l’homme sous sa dénomination consacrée. C’est ainsi que se créera en 1985 la première ligue algérienne des droits de l’homme, simultanément avec la constitution de l’association autonome des fils de chouhadas. C’en était trop, jugea le pouvoir politique d’alors. Tout ce beau monde, soit plus de trente personnes, se trouvera devant la Cour de sûreté de l’État. Un procès retentissant se déroula à partir de décembre 1985, auquel des journalistes et des observateurs internationaux avaient assisté par la pression que les prisonniers, en grève de la faim, avaient exercé sur les autorités du pays.
Seule la carte postale de Mohand Abouda…
Puis vint octobre 1988 qui ouvrira les portes au pluralisme politique et médiatique. Une ouverture relativisée, voire amenuisée, par le terrorisme islamiste des années 1990, premier négateur des droits des l’homme. En effet, le premier des droits, celui de la vie, fut allègrement bafoué et violé non par l’État, cette fois-ci, mais par des groupes armés. C’est là d’ailleurs l’un des plus grands défis actuellement: comment faire valoir les droits de l’homme lorsqu’ils sont niés non par les États, mais par des organisations terroristes. Ce qui se passe aujourd’hui en Irak, en Syrie, en Libye et d’autres contrées rongées par le terrorisme illustre bien cette problématique. En matière de vulgarisation des droits de l’homme et de sensibilisation sur ses thématiques, l’Algérie n’a pas fourni de grands efforts. La fameuse promesse de Benbouzid, ancien ministre de l’Éducation, d’introduire l’enseignement des droits de l’homme à l’école n’a pas été suivie d’effet. Les deux ligues des droits de l’homme qui existent sur le terrain interviennent par à-coups, selon les événements qui sont signalés dans le pays. La Commission consultative de promotion et de protection des droits de l’homme manque de crédit, considérée comme un appendice de l’administration. Il nous reste, sans doute, cette belle carte postale en dépliant, réalisée au début des années 1990 par le grand artiste Mohand Abouda, où il a repris l’intégralité des 30 articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Épuisée dans les librairies, elle mérite d’être rééditée et diffusée dans les établissements scolaires, avec, pourquoi pas, une version en tamazight.
Amar Nait Messaoud