Les réseaux sociaux remplaceront-ils tous les canaux de communication ? La tendance ne cesse de se dessiner vers plus de poids de Facebook, y compris chez les partis et les personnalités politiques. L’ancienne littérature politique- faite de livres, de prospectus, de programme de parti- est en train de disparaître en faveur d’un… vide sidéral. Les coalitions de partis, nouées après l’élection présidentielle d’avril 2014, ont évolué sur le terrain des réunions, des mini-meetings et d’une logorrhée d’interviews données aux différentes chaines de télévisions agréées et non agréées. Autrement dit, qu’il s’agisse d’un seul parti ou de l’alliance elle-même, il est quasiment impossible de leur trouver une plateforme clairement assumée par une littérature politique dense et argumentée. Hormis un ou deux sites web, aucune partie ou organisation ne présente au public ciblé l’état des lieux du pays, décliné scientifiquement sur les plans politique, économique, social et culturel. Et c’est pourquoi, un grand nombre d’entretiens accordés par les leaders de partis aux organes d’informations sont souvent recouverts d’un halo de mystères, d’une opacité qui s’appuie sur des non-dits et surtout d’un déficit d’argumentation bien structurée. Le journaliste, qui se trouve parfois projeté lui aussi, à son corps défendant, dans un débat dont les éléments fondateurs lui échappent, bégaie, cherche ses mots, encaisse les attaques de l’homme politique ; il recule, puis rebondit sur des questions subsidiaires. Personne ne trouve son compte dans le faux débat. En apparence, tous les sujets d’actualité ont été traités, depuis les décharges sauvages jusqu’au gaz de schiste et les manifestations de In Salah ; depuis la grève des enseignants jusqu’à la question de l’officialisation de tamazight. Non seulement les discussions ont été superficielles, bâties souvent sur le mode de l’interview-interrogatoire, mais elles n’ont aucun prolongement pratique dans des publications ou des forums de grande réflexion. Il se trouve que nous sommes en recul par rapport au début du processus pluraliste permis par la Constitution du 23 février 1989. À l’époque, des partis de la tendance démocratique avaient leurs journaux hebdomadaires ou mensuels, des forums de discussion et des regroupements pédagogiques. Il y avait même, pour certains partis, une sorte de « gouvernement », où des tâches bien précises étaient confiées à des personnes de la spécialité. On avait alors « monsieur Culture, santé environnement, économie,… » dans ces organisations. La montée du terrorisme intégriste à partir de 1992 avait alors neutralisé tous ces efforts et dispersé les énergies, tout en assassinant des personnalités de premier plan. Aujourd’hui que les moyens technologiques sont censés permettre une meilleure communication, les idées politiques et tous les débats qui concernent la société n’arrivent pas à trouver un vrai canal d’expression de façon à les fertiliser et à leur donner une durabilité. Malgré les apparences et le spectacle qui animent l’Internet et les réseaux sociaux, ces derniers, tout en étant un plus dans le mode de communication, ne pourront jamais remplacer les méthodes éprouvées que des organisations politiques à travers le monde ont mis en place depuis des décennies. L’idée qui se dégage des regroupements de partis dits d’opposition est jusqu’à ce jour brouillée, fluette, sans grand consistance. On commente l’actualité au lieu de la créer. On ne décline aucun programme qui puisse recevoir l’adhésion du public. Imparablement, la classe politique reste à construire. De par le monde, on a eu des exemples de partis qui ne sont jamais parvenus au pouvoir. Leurs leaders historiques ayant passé le témoin, l’organisation continue son combat, est présente dans les syndicats, dans les associations, crée des revues, diffuse la pensée de ses premiers fondateurs, fait des propositions constructives. En résumé ces partis ont créé des écoles de militantisme ; ils n’ont pas cédé à la tentation de luttes de leadership. Ces dernières ont quasi paralysé l’action politique dans notre pays. Indépendamment de la manière avec laquelle le pouvoir politique a répondu aux « initiatives » de l’opposition, cette dernière ne s’est pas illustrée par une action pédagogique d’envergure ni par l’harmonie de sa démarche. Une sorte de patchwork, où se rassemblent un spectre trop large d’idéologies, donnant la nette impression que seule la course au pouvoir les intéresse. Où est leur dénominateur commun de base ? Lorsqu’on trouve dans le même tas des partis qui font des pieds et des mains pour annuler un projet de loi qui condamne la violence contre les femmes, d’autres (souvent les mêmes) qui soutiennent (et suscitent aussi) des marches contre la régularisation du commerce des boissons alcoolisées, d’autres partis qui demandent l’officialisation de tamazight, d’autres encore qui comptent sur la chute du prix du pétrole pour que le pays sombre dans le chaos (un des petits « idéologues » de cette mouvance n’a-t-il pas déclaré que l’opposition se trouve à l’aise, satisfaite [mourtaha] par la chute du baril?), il est malaisé de décrypter une cohérence, un sens des responsabilité et un horizon claire chez cette « classe » qui compte pourtant quelques « têtes pensantes », mais prises dans l’engrenage du nihilisme. Bien sûr que tout n’est pas rose dans une République nourrie par l’or noir. La vérité est que cette même opposition et tous les secteurs de la vie nationale font partie de ce qu’on dénomme « Système ». Une dénomination qui donne l’impression à ses auteurs qu’ils échappent à la mécanique de cet engrenage d’un Système qui a moulé le pays tout entier, depuis plusieurs décennies, dans la logique de la rente. A-t-on l’audace et le panache de se remettre en cause ?
Amar Naït Messaoud