Casting pour un court-métrage intitulé «Nedjma ou le pont vers la vie»

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Nous sommes à Constantine, en 1958, dans ce vieux quartier appelé Souika. De l’autre côté sur le sommet de la falaise, se dresse fièrement le monument aux morts. Une statue ailée symbolisant la Victoire dans la pure tradition romaine. Un habitant du quartier regarde la cérémonie de commémoration qui s’y déroule. Un abîme l’en sépare : la vallée du Hamma. L’accès du pont, jeté par-dessus, lui est interdit ainsi qu’à tous ses compatriotes. Il n’a que douze ans et un grand sentiment d’indignation et de révolte déjà l’habite. Pourquoi les Algériens ne pouvaient-ils pas participer à cette cérémonie commémorative ? Ils avaient pourtant leurs victimes comme les Européens ? Cette injustice lui fait mal. Son grand père a fait la guerre. Son père aussi, puisqu’il y est mort. Alors pourquoi n’a-t-on pas invité l’ancien combattant (le grand père) pour s’incliner en ce jour à la mémoire des victimes de cette effroyable boucherie qu’on appelle La grande guerre ? Trêve de questions et d’hésitation, le garçon rentre chez lui, prend le drapeau algérien et s’élance vers le monument aux morts. Il réclame la liberté de commémorer comme les autres. Cet événement du 8 mai, c’est aussi le sien : son père a donné sa vie, son grand père quatre ans de son existence. Qui peut l’arrêter, qui peut lui ôter le droit de figurer au premier rang en ces hauts lieux de mémoire ? Certes, il y a l’autre 8 mai 1945 qui envenime les rapports entre Français et Algériens, à cause de la sauvagerie des répressions qui ont fait 45 000 ! Inouï ! Inadmissible ! Depuis, le jeune Youcef sait que les choses ne seront plus jamais ce qu’elles étaient avant. Et c’est peut-être pour cela qu’il fonce tête baissée vers le pont avec la volonté de le franchir et de hisser le drapeau sur le monument… Aujourd’hui Youcef a 75 ans. Il a achevé le portrait de Nedjma, qu’il avait commencé à douze ans, car il est artiste-peintre. Il est fier de son œuvre. C’est un vrai chef-d’œuvre. Tout cela bien sûr, c’est de la fiction. Une fiction qui a tout de même pour toile de fond un pan de notre Histoire. Cette fiction fait l’objet d’un court-métrage. Celui-ci a séduit la commission de «Constantine capitale arabe de la culture», et le Centre algérien de développement du cinéma (CADC) qui a voulu prêter main forte au jeune producteur bouiri, Brahim Hamadi. Ce dernier était la semaine passée à la Maison de la culture de Bouira pour le casting de ce film de 20 minutes. Il le sera aujourd’hui encore pour les mêmes raisons. Selon lu, le nombre de figurants pourrait dépasser les deux cents personnes. C’est pourquoi la compétition était ouverte à une large tranche d’âges comprise entre vingt et soixante-dix ans. Dans ce travail de reconstitution historique, il faut des hommes parlant l’arabe et le français pour incarner les indigènes et les colons de cette triste époque, où l’Algérie luttait pour son indépendance. Toujours, selon notre interlocuteur, cette prospection de talents se poursuivra à Constantine du 10 au 13 juin, à la Maison de la culture. Tous ces castings pourraient également servir pour de prochains films, car le jeune producteur qui a déjà produit un long-métrage ne compte pas en rester là.

Assisté techniquement par une équipe d’experts étrangers, notre producteur ne pense pas mettre plus de deux semaines pour la réalisation de ce film. Pour s’imprégner des lieux, consulter les archives, recueillir des témoignages, cela lui a pris cinq mois. Autant dire que ce jeune artiste de Bouira se sent déjà constantinois. Concernant le titre de ce film «Nedjma, ou le pont vers la vie», nous avons interrogé le cinéaste pour savoir si c’était un emprunt qu’il avait sciemment fait à Kateb Yacine. Il nous a répondu que non, que le personnage appartient à la légende et à la culture propre à Constantine. Selon le directeur de la boite Madox, l’histoire est l’équivalent de Juliette et Roméo ou Kaïs et Leila. S’il faisait donc là un emprunt, ce serait au patrimoine culturel du pays. Mais non, séduit par la symbolique qu’il représente, il a choisi ce nom pour illustrer l’idée qu’il se fait de l’Algérie indépendante et libre. S’il a accepté de nous parler d’une partie de son film, de Youcef, qu’il a pris à Constantine pour son accent, il reste que sur l’essentiel, il a gardé le silence, ne voulant pas divulguer l’histoire, comme c’est la coutume chez les producteurs. En revanche, il nous a montré certaines prises de vues sur l’ancienne ville se dressant majestueusement sur son Vieux rocher qui sont époustouflantes. Deux noms de héros tombés sur le champ de bataille à Verdun ou dans la Somme attirent l’attention sur l’une des plaques commémoratives filmées : Taleb Lakhdar et Tebib Ahmed.

Quoi qu’il en soit, cette reconstitution d’un large pan de notre Histoire tombe à point nommé pour sauver des faits glorieux de l’oubli et de l’indifférence.

Aziz Bey

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