Le Dr Abdenasser Boudaa, médecin généraliste de formation, actuellement directeur de la santé et de la population de la wilaya de Tizi-Ouzou, à la tête de ce secteur depuis juin 2015, sa cinquième nomination à la tête d’une direction de la santé d’une wilaya du pays, a bien voulu nous entretenir du secteur de la santé, des acquis mais également des nombreuses difficultés dans lesquelles il patauge depuis un certain temps.
La Dépêche de Kabylie : Pourriez-vous nous faire un petit point de situation du secteur de la santé dans la wilaya de Tizi-Ouzou ?
Dr Abdenasser Boudaa : J’ai fait la tournée de la majorité des structures de la santé renforcé par les dernières sorties que j’ai faites avec le wali, nous avons eu l’occasion de voir pratiquement l’ensemble des communes et des daïras de la wilaya. Et ce qui était aussi important, c’est que j’ai écouté les doléances de la société civile, exclusivement, qui intervenait à chaque fois et qui présentait ses contraintes concernant divers secteurs et plus particulièrement celui de la santé. La wilaya de Tizi-Ouzou a des avantages et des inconvénients, c’est une wilaya bien structurée sur le plan des infrastructures puisqu’elle dispose d’un CHU, d’un ensemble d’établissements hospitaliers, des EPSP au nombre de huit, ce qui fait plus d’une cinquantaine de polycliniques, 259 salles de soins et 07 hôpitaux et un CHU multi et pluri disciplinaire qui couvre pratiquement toutes les spécialités, ainsi que trois EHS. L’un des acquis majeurs de la wilaya est le centre anti-cancer, c’est le maillant manquant à Tizi-Ouzou. La prise en charge des cancéreux, surtout sur le plan de la cardio-thérapie, fait défaut. Le centre sera opérationnel à partir de juillet 2016 et à ce moment-là je pourrai dire que la wilaya de Tizi-Ouzou dispose de l’ensemble des niveaux de soins pour que la prise encharge des patients soit effective et complète. Pour le privé il y a de bonnes choses qui sont en train de se faire au niveau de la wilaya. C’est un complément pour peu qu’il travaille dans le cadre des lois de la République et en conformité avec les cahiers de charges sur lesquelles ils se sont engagés.
Et quel est votre constat sur le plan des infrastructures et équipements ?
Il y a des mises à niveau qui doivent être faites de manière rapide en matière de réhabilitation, d’équipement et de ressources humaines. Je dirai qu’il y a un retard qu’il faut impérativement rattraper. Il y a certains hôpitaux qui nécessitent une extension et des réhabilitations, tout cela a été diagnostiqué et actuellement il y a un travail qui est en train de se faire pour le ministre sur instruction du wali. Je suis en train de finaliser un travail d’inscription de deux opérations : la première consiste en la réhabilitation, aménagement et extension des unités des établissements de soins de la wilaya, l’autre en l’acquisition d’équipements et de mobiliers pour l’ensemble des unités de soins. Reste la ressource humaine, nous avons demandé à ce que l’institut national des sages-femmes, dont la vocation première est de former des sages-femmes, puisse former aussi des paramédicaux spécialisés dans la radio mais surtout en labo, ainsi que des adjoints médicaux d’anesthésie et de réanimation dont le secteur à impérativement besoin. L’accord nous a été donné par le ministère et nous sommes en train de chercher des locaux sur la commune de Tizi-Ouzou ou aux alentours pour assurer ces filières de la santé. Pour ce qui est de la formation des aides-soignants, elle fonctionne très bien, puisque nous avons réceptionné 240 aides-soignants. Nous avons lancé une autre formation de 240 autres aides-soignants qui nous permettront de couvrir les structures de soins dans les zones enclavées de la wilaya. Nous sommes aussi sur le point d’acquérir 15 ambulances, c’est le premier quota, 05 autres suivront. Et je pense qu’avec ce nombre nous couvrirons l’ensemble de la wilaya, l’objectif étant de renforcer les équipes pour dispenser des soins à domicile. A la réception des ambulances, chaque hôpital aura son équipe de soin à domicile. Un autre acquis est l’hôpital des Ouadhias dont les travaux avancent normalement et qui sera réceptionné en septembre ou au plus tard au mois d’octobre prochain.
Qu’en est-il de la réalisation du nouveau CHU de Tizi-Ouzou ? Des bruits courent que ce n’est pas un gel mais que les montants demandés par l’entreprise qui était censée le réaliser sont indécents…Est-ce vrai ?
Ce n’est que partie remise, mais il faudrait que les gens sachent que ces CHU ont été conçus de telle sorte que l’entreprise qui réalise fasse l’étude, la réalisation, l’équipement ainsi que la gestion pendant cinq ans. La problématique réside dans le fait que cette entreprise a été trop gourmande. Les prix demandés dépassent l’entendement. A titre d’exemple, dans la partie gestion, une fois le CHU terminé les cadres de l’entreprise coréenne qui était censée réaliser le CHU de Tizi-Ouzou exigent des revenus mensuels qui avoisineraient les 30.000 euro, ce qui est totalement aberrant ! Et c’est ce problème que le ministère de la Santé a décidé de renégocier, tout ça pour revenir à des prix normaux qui se font à travers le monde. Tout le projet doit être renégocié pour débloquer cette situation…
Le conflit à l’EPSP Ouacif s’éternise, malgré la nomination d’un nouveau directeur. Où en est la situation ?
Tout d’abord, je déplore cette situation. Personnellement, j’ai eu plusieurs réunions avec l’ensemble du collectif des travailleurs et de la section syndicale UGTA de Ouacif. Des réunions faites à la wilaya, dans mon bureau même. Je voudrais au passage rendre hommage aux travailleurs, qui malgré cette situation difficile ont fait preuve de responsabilité en assurant un service minimum aux patients. Ceci dit, l’administration étant fermée, tout le volet administratif et financier de cet établissement est fermé maintenant. La situation est délicate dans la mesure où la paie du mois de janvier n’est pas assurée. Jusqu’à maintenant, la dotation en médicament n’est pas assurée et le budget n’est pas mis en place. La problématique réside dans le fait qu’on a mis fin aux fonctions d’un directeur pour certaines raisons. Le ministre à ses raisons. Maintenant, un directeur est un commis de l’Etat et de ce fait il y a la péréquation du poste de directeur et c’est irrévocable ! Et s’il n’a pas admis son éviction, il y a des voies de recours, mais il y a une décision prise pas le ministre du gouvernement et elle doit être appliquée. Pour le problème du lot de médicaments non répertoriés, l’affaire est chez le juge d’instruction et la personne qui se présentait comme un cadre du secteur a interféré dans la gestion de l’établissement. Et à ce propos, je vous informe qu’une plainte a été déposée à l’encontre de ce monsieur et une information judiciaire a été ouverte à ce propos. Selon un collectif que nous avons reçu, il y a des éléments perturbateurs et l’EPSP Ouacif n’a pas connu de stabilité depuis 2008. Cet EPSP a connu 06 directeurs. On installe le nouveau directeur et on revoit les différents conseils de gestions et la représentativité de chaque syndicat. Des enquêtes seront ouvertes s’il le faut sur ces éléments perturbateurs qui sont en train d’assombrir le climat dans cette polyclinique. Pour stabiliser cet établissement, la condition est de rouvrir la direction et installer le nouveau directeur pour qu’il retrouve la sérénité. J’espère que les gens finiront par comprendre que l’on ne peut en aucun cas laisser un établissement public fermé. Sa vocation est de soigner les malades, payer les travailleurs, gérer leurs carrières et veiller à leurs formations. De mon côté j’ai lancé tous les signaux possibles et imaginables pour que les gens arrivent à comprendre et reviennent à de meilleurs sentiments. J’attends de leur part un signal fort… On ouvre l’administration, on installe le nouveau directeur, on place un staff administratif et on met en place le programme que nous avons décidé pour stabiliser le climat dans cette structure publique.
La clinique Sbihi connaît une instabilité chronique depuis des années. Qu’y a-t-il lieu de faire ?
Je dirai que c’est malheureux, parce qu’il y a un dysfonctionnement au niveau de Tizi-Ouzou. Au niveau de cette commune, il n’y a pas un hôpital général qui fasse barrière et qui puisse absorber le flux de malades, et cela fait du CHU un réceptacle ! La clinique Sbihi est une petite structure dont les possibilités d’extension sont réduites à zéro. L’activité est extrêmement importante.
Nous venons d’avoir l’accord pour la réalisation d’un EHS (mère-enfant) de 120 lits. Nous sommes en train de chercher une assiette de terrain dans le tissu urbain, au moins entre Tizi-Ouzou et Drâa Ben Khedda. Nous avions désigné un responsable extrêmement compétent, mais qui a malheureusement refusé le poste.
Mais ce n’est que partie remise, puisque nous avons fait la proposition à un autre tout aussi compétent à mon sens, qui répond aux critères que nous avons définis et qui mettra fin au problème de responsable à la tête de cet établissement. Avec le temps, il est impératif que les 07 hôpitaux de la wilaya disposent de leurs propres services de gynéco-obstétrique et de pédiatrie. Ce sont des spécialités de base dont ils doivent disposer.
Ensuite, s’il y a lieu d’ouvrir d’autres spécialités, à la bonne heure ! Mais pas au détriment des médecines de base comme la chirurgie, la médecine interne, la pédiatrie et la gynéco-obstétrique. C’est un objectif que nous allons progressivement atteindre.
Le mot de la fin…
La wilaya de Tizi-Ouzou a beaucoup de potentialités sur le plan des infrastructures et des potentialités, surtout sur le plan de la ressource humaine, parce que celle-ci est importante et bien formée.
Elle est aussi extrêmement motivée.
Nous avons également beaucoup de potentialités dans la mesure où les doléances des populations sont bien canalisées, puisqu’il y a les comités de villages, une chose que l’on ne trouve qu’ici à Tizi-Ouzou. Ceux-ci présentent leurs doléances d’une manière très civilisée, organisée et objective et c’est un grand plaisir de travailler avec eux.
Au delà des conflits que connaît le secteur, surtout ce problème de l’EPSP Ouacif qui sera réglé et qui ne va pas durer éternellement avec les propositions que nous sommes en train de préparer, et avec l’ouverture et la mise en service du centre anti-cancer et l’activité qui commence à prendre forme au niveau du service cadio-pédiatrique, je crois que la wilaya de Tizi-Ouzou pourra se placer comme un grand pôle en matière de soins, que ce soit les soins de base mais aussi et surtout les soins hautement spécialisés et pointus, car elle a beaucoup d’atouts et de compétences.
Entretien réalisé par Taous.C