«Il n’ y a que la tristesse qui me fait jouir»

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C’est un entretien peu commun. Farid Ferragui parle de tout. Sans retenue. Comme au confessionnal. Il s’est livré à nos journalistes la semaine dernière alors qu’il nous rendait visite à notre bureau à Tizi-Ouzou. à vrai dire, ils étaient deux à se confier : l’artiste et l’homme. à lire et à relire. Que du plaisir !

La dépêche de Kabylie : Avant d’opter définitivement pour la chanson, vous étiez enseignant puis journaliste.

Est-ce que ces compétences transversales ont eu un impact dans votre carrière d’artiste ?

Farid Ferragui: Nous avons un fleuve qui nous emporte. Des fois, on programme des choses, des fois, c’est les choses qui viennent d’elles-mêmes. C’est sûr et certain que je voulais être chanteur depuis mon enfance, j’aimais écouter la musique et chanter. Pour tout vous dire, je n’ai pas choisi l’enseignement, j’ai passé un concours et j’ai été retenu, voilà. Et je me suis retrouvé en plein dedans. Et puis, je voulais être aussi acteur, mais les circonstances ont décidé autrement. J’ai perdu mon père, donc j’ai été contraint d’abandonner la formation pour prendre en charge ma famille. J’ai enseigné pendant 4 ans, mais je me sentais prisonnier un peu alors que j’avais des ambitions pour aller plus loin. Et je me suis dit, pourquoi pas ? Donc je suis parti en France en 1976. J’ai abandonné mon poste d’enseignant, d’ailleurs j’ai remboursé tout l’argent, comme un citoyen qui se respecte, parce que j’ai été sous contrat de 7 ans à l’époque. Et puis, j’ai fait du journalisme en France. Maintenant pour revenir à la question, c’est sûr qu’il y avait un impact sur mon parcours et mon comportement. Si j’étais devenu chanteur sans ces passages dans ces métiers, sans cette formation, cela aurait été autre chose. C’est sûr qu’il y avait une influence. L’enseignement m’a procuré cette pédagogie, cette psychologie, j’ai découvert cette relation, une richesse dans la conception des choses et une approche beaucoup plus pragmatique dans la vision sociétale. Pour le journalisme, je dirais que c’était une continuité. Je me suis référé à sa déontologie, à son éthique, à ses exigences, on s’interdit le plagiat …etc. Donc, j’ai transposé tous ces apprentissages dans le domaine de la chanson, ce qui a donné un cachet original à mes chansons. Quand j’écris un texte, j’essaie par tous les moyens de lui donner ce style, ces techniques du journalisme, ça m’a, quand même, servi.

Et sur le plan musical, quelles sont vos influences ?

Tous les peuples ont des influences, avec le brassage des cultures. Personne n’est responsable de ça. Nous avions trouvé deux influences : une influence occidentale et une autre orientale. Et chacun ses penchants, d’où la naissance de ces groupes modernes et autres. Moi, quand je suis venu à Tizi Ouzou, j’ai trouvé des films d’Abdelhalim Hafed, de Farid El Atrache, des films Hindous…etc. Et puis, il y a ces influences radiophoniques. J’appartenais, donc, à cette frange qui était influencée par la musique orientale, je l’aimais et je l’aime encore, j’écoute la musique kurde, turque et autres…

Et ce pseudonyme «Farid» ?

C’est un pseudonyme que me donnaient des copains quand je fredonnais des musiques orientales à l’école normale, et puis, une personne l’a proposé à mon producteur à Paris, et voilà tout le secret…

Depuis, vous êtes dans le même style et les mêmes instruments, à savoir le luth et la percussion Pourquoi n’y a-t-il pas eu l’intégration d’autres instruments ?

Je suis quelqu’un de très fidèle, je dirai fidèle à tout. J’ai été toujours avec des jeans et baskets, au village, à Paris ou en scène, c’est la même chose. Je n’ai jamais changé. Est-ce que c’est bien ? Bon, des fois je souffre. Il y a des choses qui me font mal… que je voulais changer… mais il y a cette fidélité. Je suis un nostalgique, un romantique, hyper sensible. C’est ce truc là que je n’arrive pas à gérer et qui fait de moi, peut-être, un prisonnier de cette fidélité.

L’amour se taille la part du lion dans votre riche répertoire, une explication, peut-être ?

Parce que j’aime toujours. C’est vrai. A Montréal où j’ai fait un gala, il y avait quelqu’un que je respecte beaucoup, je le salue au passage, un professeur de la fondation Tiregwa, et dans une salle archicomble, il commençait à relater mon parcours et à un moment donné il disait quand Farid aimait. Je lui ai retiré le micro et je lui ai dit «Si toi tu n’aimes plus, ce n’est pas mon cas, moi j’aime toujours». Quand il n’y a plus d’amour, il ne reste rien. L’amour, c’est l’espoir.

Vos chansons reflètent votre vécu, n’est-ce pas ?

J’ai toujours chanté ce que j’ai vécu, je suis trop franc, je crois que c’est ça qui a fait ma réussite. Des gens m’aiment bien parce qu’ils s’identifient à mes chansons. J’ai rarement chanté autre chose.

Que pensez-vous de la situation actuelle de la chanson kabyle ?

Je ne suis pas trop technicien de la musique, je n’aime pas trop juger. En ce qui me concerne, je n’ai pas senti grand-chose, parce que quand tu es fidèle, il y a cette fidélité qui te suit. Je suis fidèle, j’ai un public fidèle. Jusqu’à présent, je ne suis jamais déçu. Là où je vais, je ne me suis jamais senti seul dans une salle. Là où je me produis, c’est toujours de l’archicomble et il y a toujours cet amour du public. Donc moi, je ne me sens pas concerné. C’est comme une crise économique qui touche certaines personnes et qui épargne une frange. Pour la chanson, je pense qu’il faut la situer dans une vision un peu large. C’est le monde entier qui est touché par ce phénomène de mutation, de crise relationnelle et autre. La musique kabyle subit de plein fouet ces changements et ces mutations, elle ne peut pas être épargnée, comme notre jeunesse, d’ailleurs. On a parlé tout à l’heure, de mon influence vis-à-vis de la musique orientale, donc je dois comprendre cette jeunesse. L’amour que j’ai chanté n’est pas pareil avec ce qui est chanté maintenant. Eux, ils parlent avec des SMS, moi, je suis toujours à la fontaine. Mais, c’est sûr qu’il y a un côté négatif.

C’est dû à quoi à votre avis ?

Vous savez, quand il y a un phénomène qui s’est déclenché c’est comme un rouleau compresseur. La mondialisation est une question d’influence, c’est l’invasion satellitaire et technologique. Avec tout cela, ce sont des influences que subissent nos enfants. Il fallait s’y attendre, s’attendre à des choses négatives. Nous le ressentirons d’avantage à l’avenir avec ces programmes de télévisions satellitaires et les réseaux sociaux…etc. A cet effet, des garde-fous sont plus que nécessaires, il faut des clôtures et une campagne de sensibilisation médiatique. La presse, nos télévisions et la société doivent s’investir dans le domaine culturel pour contrecarrer, justement, ces influences négatives par rapport à notre culture.

Peut-on avoir votre avis sur ces reprises de chansons ?

Je ne suis pas contre si une chanson est bien reprise, mais il faut respecter l’éthique : demander l’autorisation et appliquer les règles qui régissent les droits d’auteur en Algérie, si elle est bien chantée mieux que l’auteur, pourquoi pas ! Mais, malheureusement, des fois, j’entends des chansons mal reprises, c’est catastrophique. Et puis, si tu aimes vraiment la chanson, il ne faut pas le faire à des fins commerciales.

On vous a rendu plusieurs hommages, vos impressions…

Vous savez, quand on vous rend un hommage, c’est une reconnaissance, c’est de l’amour, ça fait toujours plaisir. J’ai vécu cela avec une certaine fierté. J’ai entendu des gens dire «On vous aime», j’avais franchement besoin de ça.

Pourquoi un tel titre «Itri areggal» (Etoile filante) pour votre dernier album ?

Les plus belles choses dans le monde ne durent pas longtemps, malheureusement. Cette chanson est un bouquin, des chapitres. Il y des choses par rapport à la jeunesse, à la vieillesse, à des trucs qui t’échappent, des regrets, des remords, il y a tout dans cette chanson-là. Je voulais montrer que les belles choses nous échappent, il faut les saisir au bon moment.

Votre public est composé de toutes les générations, vous avez un élément de réponse, peut-être ?

Vous l’avez constaté. C’est un phénomène. Ça me flatte, tant mieux. J’ai vu toutes générations confondues. Quand j’étais à Montréal, à Paris, de jeunes garçons et filles de 16 ans fredonnaient mes chansons. Ici, n’en parlons pas. Je pense que le message est transmis. C’est une question de communication et de thèmes traités dans mes chansons.

On dit que les apparences sont souvent trompeuses. Le chanteur Ferragui est-il différent de l’autre Ferragui sans luth, homme ordinaire ?

Je suis quelqu’un de trop triste, je ne prends pied dans la chanson que quand j’arrive à pleurer. C’est là que je me dis que j’ai capté. Il n’y a que la tristesse qui me fait, effectivement, jouir dans la chanson. Dès que je prends mon luth, je suis dans un autre monde, est-ce que c’est dû à mon enfance ? Je ne peux répondre. La chanson pour moi, c’est la mélancolie, c’est la tristesse…

Des rendez-vous à fixer peut-être pour ceux qui vous aiment et s’impatientent de vous revoir sur scène ?

Sur le coup, je n’ai pas tout le programme en détail en tête, mais des grands rendez-vous à venir, disons que très probablement je ferai le Zénith le 26 mars 2017.

D’autres projets notamment en terme de production ?

J’ai toujours des projets en chantier, comme dirait l’autre. Je suis dans la composition d’autres titres. J’ai aussi deux galas à la maison de la culture vers la fin de l’année en cours. Très probablement entre les 26 et 30 décembre.

Entretien réalisé par H. Moula et K. Hadoum

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