Mezeguene est un village haut perché sur le versant ouest de l’Akfadou. Il relève territorialement de la commune de Illoula, wilaya de Tizi Ouzou. Durant la Révolution, il a vécu sa part des exactions coloniales, ayant été le théâtre de deux grandes batailles : la première en juin 1857 et la seconde, cent ans plus tard, en juin 1957. Le camp de Boubhir situé dans la vallée du Sébaou (à l’Ouest) a servi de centre de détention et de torture des combattants emprisonnés et dont peu sont revenus. De l’autre côté, vers l’est, la vallée de la Soummam permet la jonction avec la wilaya de Béjaïa. Cette montagne-là était le centre névralgique de la célèbre wilaya III. Da Omar, un vieil octogénaire qui en a vu de toutes les couleurs, qui a été un grand militant de la cause nationale et auquel nul n’a reconnu la qualité de moudjahid, n’arrive pas à oublier. Il y a de cela presque cinquante ans, en 1959 exactement (pour la date, ses souvenirs sont imprécis) deux jeunes hommes sont tombés au champ d’honneur et ont été enterrés dans deux tombes distinctes, l’un à côté de l’autre, dans ce sol montagneux qui a vécu une part importante de la réaction guerrière de la soldatesque coloniale de par sa situation stratégique à cheval sur deux côtés de la Kabylie combattante et à quelques encablures du célèbre lieu où s’est déroulé le congrès de la Soummam, à Ifri. Dans chacune des deux tombes, les personnes présentes ce jour-là ont glissé une bouteille contenant les informations sur l’identité de chaque défunt. Les pierres tombales des deux tombes ont subi les rigueurs du climat et du vandalisme humain… Et les tombes ont plongé dans l’anonymat, en dépit des velléités de Da Omar qui se fait un devoir de mémoire de tout faire pour que ces deux corps rejoignent leurs frères de combat sur la stèle située à l’entrée du village de Mezeguene. Et surtout pour que leurs noms fleurissent la liste déjà longue de ceux qui ont donné leur vie pour l’indépendance nationale. Da Omar ne veut rien pour lui. Cette “bibliothèque” préfère partir comme “j’ai vécu, la conscience tranquille et n’ayant rien à me reprocher”, mais ces deux tombes anonymes me resteront toujours en travers de la gorge”, ajoute-t-il avec un regard triste. Cette stèle, assez grandiose, réalisée grâce au concours financiers de certains citoyens très à cheval sur le militantisme et le nationalisme et se revendiquant de l’historicité d’une région qui n’a rien à envier aux autres, n’est toujours pas reconnue par les services de l’ONM d’Illoula. Elle, aussi, vit son anonymat. Même si des démarches ont été entreprises par les initiateurs, particulièrement Da Arezki, surnommé “De Gaulle” par ses compagnons du maquis ainsi que le comité de village de Mezeguene. Les villageois sont prêts à assumer tous les frais de la cérémonie, encore faudrait-il que le service concerné prenne la décision d’officialiser cette stèle, ce qui ne saurait tarder trop longtemps. Ce serait un honneur et une fierté pour le village et ce serait aussi rendre justice à la mémoire de tous ceux qui se sont sacrifiés pour la juste cause nationale. L’écriture de l’histoire est à ce prix.
Sofiane Mecherri