Dans l’activité administrative et de gestion quotidienne, l’on a comme l’impression que l’APC est la dernière ‘’roue de la charrette’’ tant est forte la centralisation de la décision et hypertrophiée la place qui revient à l’administration par rapport aux élus. En tout cas, la confusion des rôles et l’obsolescence des codes de commune et de wilaya, greffées aux sensibilités partisanes et aux clivages claniques des élus, ont fait que cette cellule de base ne joue pas complètement son rôle dans une époque pourtant où la citoyenneté et la gestion de proximité semblent être les nouvelles valeurs qui commencent à se substituer aux anciens idéaux de l’Etat-nation au centralisme guindé et castrateur. Les communes dont la machine exécutive reste bloquée depuis les dernières élections municipales de novembre 2007 seront destinées à subir une gestion administrative via les services de la daïra.. Toutes les brèches que le Code communal a ouvertes, sans doute dans un souci de ‘’luxe démocratique’’, ont été exploitées, depuis l’ouverture démocratique de 1989, par les acteurs de façon à engager le bras de fer avec leurs collègues issues de formations politiques différentes. Nous pensons spécialement ici à cette faculté — interprétée en termes de prérogatives — qui donne la possibilité aux élus de voter un retrait de confiance au président de l’Assemblée populaire communale.
Le scrutin du 29 novembre dernier est supposé pouvoir réhabiliter et développer, autant qu’en exigera la démocratie participative locale, les notions de gouvernance locale et de gestion de proximité.
En fait, par rapport à la gestion hyper-centralisée des affaires de la cité, héritage de la bureaucratie ‘’socialisante’’ des trois premières décennies après l’Indépendance, l’autorité locale, symbolisée de manière diffuse par le président de l’APC, constitue-même avec ses tares et insuffisances- le porte-étendard de populations qui n’ont pratiquement aucun relais dans les rouages nébuleux de la haute sphère de commandement. La mairie, la structure la plus proche-du moins physiquement- des population locales sert souvent, pour ces dernières, de défouloir et de mur de lamentations face aux difficultés de la vie entraînées par la nouvelle orientation économique du pays. Une transition qui n’en finit pas et qui a charrié pauvreté, accroissement des inégalités, chômage, précarisation plus insidieuses des basses classes, etc. Lorsque les jeunes n’arrivent pas à faire entendre leur voix auprès du wali ou d’un ministre quelconque, c’est sur le siège de l’APC que retombera leur courroux et c’est sur ses murs que se déverseront leur fulminante furie, leur vieille ire. Première entité administrative du pays- c’est son entité de base-, la commune fonctionne en Algérie sur la base d’un code désuet, dépassé par l’évolution sociale et institutionnelle du pays. Selon les échos rapportés par la presse, les nouveaux codes de la commune et de la wilaya étaient en préparation au niveau du ministère de l’Intérieur depuis le début de ce nouveau siècle. A force d’être annoncés et aussitôt différés tout au long de ces deux dernières années, ces projets ont fini par prendre aux yeux des populations et des élus l’aspect de l’Arlésienne. Nouredine Zerhouni ne rate aucune occasion pour en faire état. Le ministre délégué aux Collectivités locales, Ould Kablia, a relancé encore le projet du Code communal en donnant même la primeur sur certaines clauses importantes qui y sont introduites à l’exemple de celle qui supprime la possibilité à l’Assemblée communale de voter des motions de retrait de confiance au maire. Cette nouvelle mesure est envisagée pour mettre fin aux différentes situations de blocage des exécutifs communaux issus du dernier scrutin. Au cours du mois de mars 2007, le ministre délégué aux Collectivités locales a établi, dans un entretien avec un quotidien national, le constat le moins indulgent et le moins complaisant qui puisse être fait sur la gestion des municipalités du pays. En effet, Ould Kablia, n’y va pas par trente-six chemins pour diagnostiquer le mal qui ronge les Assemblées populaires communales censées être l’entité de gestion minimale du territoire du pays. Manque de formation, dilution des responsabilité, corruption, mauvaise prise en charge du foncier, inadéquation du Code communal en vigueur avec les nouvelles réalités du pays et une kyrielle d’autres problèmes qui, à la fin, prennent en otage la collectivité tout entière. On reconnaît au ministre cette franchise, peu coutumière chez nos responsables gouvernementaux, en s’attaquant à l’aspect politique de la composante de l’Assemblée.
Cela revient à mettre sur la table de discussion la notion de la démocratie telle qu’elle est perçue par les élus de base, loin des Etats-majors des partis. Cependant, ces derniers ne manquent pas, lorsque des intérêts sont en jeu-et c’est souvent le cas- de peser de tout leur poids pour orienter les décisions des assemblées communales dans le sens qui leur sied.
Ould Kablia a pointé du doigt expressément les membres de l’Alliance présidentielle : « Il se trouve que le seul domaine où peut-être les partis de l’Alliance conjuguent leurs efforts est pour faire tomber le président d’APC ». Triste situation de la gestion des Assemblées élues appelées à être renouvelées dans quelques mois. Lors de son passage à la Télévision, quelques semaines avant la dernière campagne électorale des législatives, Saïd Sadi a donné une image encore plus compliquée et moins sereine de la gouvernance locale lorsqu’il a eu à traiter de l’affaire de l’APC d’Amizour, à majorité RCD, qui s’est opposée à l’implantation d’une usine d’un entrepreneur privé sur le territoire de la commune. L’affaire a connu des rebondissements (direction du parti, wali, ministère de l’Intérieur, associations citoyennes) qui nous font voir en direct l’enchevêtrement et même la dilution des responsabilités, ce qui conduit les différents acteurs à semer la confusion entre politique, au sens organique, et gestion locale.
Territoire et citoyenneté
Dans les pays développés, la gestion des communes est en train de prendre de plus en plus les aspects de la gestion d’une “petite république”. Chez nous, le Code communal, au vu de l’évolution des réalités économiques, culturelles et sociales du pays, est frappé d’obsolescence. Ould Kablia le reconnaît et le ministère de l’Intérieur a confectionné un nouvel avant-projet qui sommeille depuis des années dans les tiroirs. Il sera débattu au Parlement, en même temps que le Code de la wilaya, avant son adoption finale. La nouveauté, d’après Ould Kablia, c’est l’approche d’une “démocratie participative” qu’il convient d’asseoir dans les futures assemblées : les citoyens, par le truchement des associations de quartiers et des organisations professionnelles participeront aux décisions des exécutifs communaux relatives à la politique de la jeunesse, de l’éducation, de l’environnement, de la santé, de la distribution de l’eau, de l’assainissement, etc.
Le projet de Code communal comporte aussi une nouvelle vision de l’institution municipale à laquelle il compte conférer de nouvelles prérogatives telles les possibilités des emprunts bancaires destinés à réaliser des investissements qui rapportent de l’argent (marché, centre commercial, abattoir,…). Comme, il donne la possibilité à l’APC de déléguer la gestion de certains services publics à des organismes privés. Le domaine de compétence du secrétaire général de mairie sera également redéfini étant entendu que, contrairement à l’élu, celui-là signifie la pérennité et la permanence de l’institution. Demeure le vieux dossier de la nouvelle division administrative qu’Ould Kablia présente comme étant une nécessité absolue au vu des profondes transformations qu’a connues l’Algérie au cours des dernières années. La maturation du dossier est bien avancée au département de Zerhouni. Mais, des considérations probablement liées à des rapports de forces politiques au sein des institutions a quelque peu retardé la concrétisation du projet. La vox populi parle d’une version, que l’on peut considérer sans doute comme définitive-du nouveau découpage. Cette version serait entre les mains du président de la République. Beaucoup d’autres wilayas seront créées avec une moyenne démographique de 300 000 habitants. Mais les difficultés de transfert de pouvoirs et de délimitation définitive des frontières feront certainement traîner le dossier de la nouvelle division administrative. Une chose est pourtant sûre : une division administrative rationnelle et harmonieuse et des prérogatives claires et bien managées des cellules de base que sont les municipalités sont à même d’ébaucher les bourgeons d’une démocratie venant de la base et de mieux appréhender les outils et les enjeux du développement.
Vers quelle forme de décentralisation ?
Au moment où la population, les organisations de la société civile et les opérateurs économiques misent sur une décentralisation accrue des structures de l’État pour libérer les initiatives locales, instaurer un équilibre régional en matière de développement économique et harmoniser la gestion des territoires, l’impression qui se dégage au sommet de la hiérarchie gouvernementale au cours des derniers mois ne plaide apparemment pas pour une telle vision présentée, un certain moment, comme la solution idéale pour une gestion rationnelle des ressources et pour une véritable intégration nationale basée sur les spécificités régionales et la complémentarité dans l’ensemble national. Pourtant, suite à l’impasse historique du modèle jacobin et à une demande citoyenne exprimée parfois dans la violence, des lueurs d’espoir commençaient à poindre lorsque, il y a deux ans, les programmes sectoriels de développement ont été déconcentrés et confiés à la gestion des wilayas. Au chef du gouvernement et ministres de son cabinet sont confiées des missions qui auraient pu être mieux et plus promptement assumées si elles étaient dévolues à des autorités intermédiaires qui, par exemple, auraient à leur charge la gestion d’un territoire regroupant 3 ou 4 wilayas. Les problèmes rencontrés par le programme de l’habitat rural sont parfois d’une simplicité si désarmante (toiture en tuiles ou en dalle ?
Un habitant de bourgade travaillant au siège de commune situé à quelques kilomètres de son domicile ouvre-t-il droit à une aide de l’État en matière d’habitat rural ?) que l’on a peine à croire qu’ils doivent être soumis aux hautes autorités du pays pour leur trouver une solution. Les exemples ne manquent pas. Les programmes de développement inscrits dans le cadre du Plan de soutien à la croissance, et dont la gestion et le suivi sont confiés aux wilayas, sont si importants et leur gestion si délicate que seule une véritable décentralisation de la décision pourra en assurer une garantie minimale. Les daïras, entités intermédiaires qui ont une fonction plus symbolique que managériale, ne sont habilitées ni techniquement ni humainement à prendre en charge de tels plans de développement. Dans une telle situation de chaînon manquant dans la machine administrative de l’État, personne ne trouve son compte si on excepte les réseaux de corruption et de clientélisme qui, partout dans le monde, tirent avantage de la concentration des pouvoirs et de l’opacité de gestion qui lui est intimement liée. Le ministère des Ressources en eau peut-il décider, dans le cadre du rationnement de ce précieux liquide, du nombre d’heures qu’il faut pour toucher un quartier situé sur les hauteurs d’Alger ou de Ammi Moussa ? Une révision positive des codes de la wilaya et de la commune sont, à n’en pas douter, la pierre de touche de la volonté politique du gouvernement à établir la bonne gouvernance locale et à aller vers plus de décentralisation dans les structures de l’État et la gestion des territoires. En se proposant d’établir une charte intercommunale pour asseoir une gestion rationnelle des territoires, une démocratie de proximité-qui porte dans ses présupposés les esquisses de la bonne gouvernance- et une solidarité constructive qui sache mobiliser contre l’infortune d’un jour et les problème de chaque jour, huit communes de la Kabylie maritime des régions des Iflissen, Ath Djennad et Ouaguenoun donnent ainsi l’exemple le plus probant des possibilités réelles de notre société à s’organiser loin des carcans bureaucratiques des appareils centralisés, voire même contre eux. Même si les textes fondamentaux du pays réservent la place qui leur sied à la commune-première cellule de la pyramide institutionnelle et unité minimale de la gestion territoriale- et à l’APC en tant que première structure élue la plus proche des citoyens, la réalité de la gestion de ces entités est autrement plus problématique et l’arsenal des textes les régissant demeure souvent un fouillis de vœux pieux.
Confrontés à la gestion quotidienne de la cité, les édiles municipaux et les services techniques qui leur sont rattachés se trouvent souvent désarmés face au manque de ressources financières, au déficit en logements sociaux à distribuer, à la problématique inextricable du foncier et aux pratiques bureaucratiques élisant domicile dans les services de la wilaya et dans d’autres structures connexes censées servir le citoyen et la commune. Jusqu’à présent, presque toutes les timides tentatives initiées par certaines institutions nationales pour décentraliser leurs services se sont soldées par un patent échec. Ce sont généralement des actions isolées dont la réussite dépend, en réalité, de tout un écheveau de structures qui ne leur ont pas emboîté le pas. Moralité de l’histoire : la décentralisation-et la leçon a acquis sa part d’universalité- est un tout indivisible qui agit sur les institutions et les territoires. On en est arrivé, avec les initiatives qui montent de la base pour tirer le pays vers plus de décentralisation et moins de bureaucratie, à un stade où le pouvoir politique est quelque part en retard par rapport aux initiatives citoyennes. Le salut du pays passera indubitablement par de tels projets s’ils arrivent à se multiplier à l’échelle de la région et à l’échelle du territoire national. Sans verser dans les détails de la Charte intercommunale, il y a lieu de constater que c’est un schéma d’organisation adopté par beaucoup de pays développés de l’Europe occidentale. Devant de pareilles disponibilités citoyennes, l’État et ses représentants locaux (chef de daïra et wali) sont censés aider la nouvelle organisation à mieux asseoir sa stratégie et à mieux féconder ses initiatives avec les autres cadres institutionnels.
Amar Naït Messaoud