n Par Amar Naït Messaoud
« Je connais le droit chemin, mais je m’en suis sciemment écarté »
Si Muh U’Mhand
Même si elle est d’inégale valeur en fonction de la qualité et de la vision des candidats qui y sont impliqués, la présente campagne électorale pour les présidentielles d’avril 2009 présente le thème de la lutte contre la corruption et du contrôle de l’utilisation des deniers publics comme la pièce maîtresse de tout redressement national. Aussi bien pour les partisans de l’actuel président de la République, à l’image d’Ahmed Ouyahia, que pour les autres candidats, le thème de l’argent public paraît comme la pierre de souche de la construction du projet démocratique en Algérie. Si ce volet de la vie publique a pris une telle dimension dans la “littérature” de la campagne électorale, c’est que, bien auparavant, l’opinion publique nationale et des organisations internationales ont eu à constater et à déplorer un grave phénomène qui a pris racine dans les structures et les institutions du pays ; une dérive dont la société toute entière continue de souffrir et dont les conséquences n’ont jamais fait l’objet d’un inventaire ou quelconque bilan, hormis l’affirmation peu sûre qui, à la fin des années 1980, était lancée par l’ancien Premier ministre Abdelhamid Brahimi et qui faisait état d’un chiffre de 26 milliards de dollars comme résultat de la corruption et des différentes commissions qui seraient faites sur les transactions du commerce extérieur.
Le terrain fertile de la corruption
Plus récemment, un membre de l’Alliance présidentielle, Abou Djerra Soltani, avait prétendu, au cours d’une rencontre avec ses partisans en 2006, détenir des noms sur des officiels qui seraient versés dans la corruption.
On sait ce qu’il lui a coûté de s’avancer sur le terrain miné de la corruption lorsque, en décembre 2006, au cours d’une réunion solennelle entre les walis et le gouvernement, le président de la République l’a mis publiquement au défi d’avancer les noms qu’il prétend détenir ; à défaut, menaçait Bouteflika, c’est au gouvernement de porter plainte contre l’auteur de telles déclarations. C’est l’histoire de l’arroseur arrosé. Il en a certainement gardé les séquelles par le moyen desquelles il est censé approfondir sa connaissance de l’Algérie des affaires, une Algérie complexe qui n’arrive pas encore à aborder sereinement les voies et moyens de sortir des pratiques occultes qui ont entaché la crédibilité de l’action politique.
L’organisation non gouvernementale ‘’Transparency International (TI)’’ s’inquiétait, dans un rapport établi en 2008, des ravages de la corruption et classe l’Algérie à la 99e place sur un panel de 180 pays. La Banque mondiale, elle, met notre pays à la 125e place sur un ensemble de 178 pays étudiés sur le plan du climat des affaires. Il faut dire que la convergence de ces deux dernières cotations n’est nullement le fait du hasard ; une infernale relation dialectique jette ses ponts entre les deux phénomènes : climat des affaires lourd, empêtré dans une légendaire bureaucratie et dissuadant les investissements, d’une part, et corruption à grande échelle ayant gangrené le corps de la société et miné la pyramide déjà vermoulue des principaux rouages de l’administrations, d’autre part.
Sans prétendre avoir sondé et épuisé jusqu’au bout tous les aspects et tous les ressorts de l’affaire Khalifa, le procès éponyme qui s’est étalé sur deux mois au tribunal de Blida au début de l’année 2006 avait montré que des personnalités importantes de l’administration algérienne ont eu-ou auraient eu-une relation directe ou indirecte avec le plus grand scandale financier qu’ait eu à connaître l’Algérie depuis l’Indépendance. Cependant, on n’avait pas entendu parler d’un responsable en activité cité dans cette affaire qui aurait remis momentanément le tablier pour se délester du devoir de réserve et préparer sereinement son dossier de défense ou, éventuellement son pourvoi en cassation. Cela constitue un cas parmi tant d’autres de motifs de démission qui pourrait honorer et même rehausser l’image d’un responsable politique ou d’un gestionnaire mêlé, à tort ou à raison, à des affaires de corruption, de dilapidations de deniers publics et autres griefs auxquels l’expose sa fonction.
La morale et le sens de la dignité ont-ils jamais fait bon ménage avec l’exercice de la politique ?
Comme l’ensemble du peuple algérien spolié de sa souveraineté à l’aube de la nouvelle ère qui devait consacrer l’œuvre de reconstruction nationale, la frange des moudjahidine, elle aussi, a été entraînée dans les errements de la gestion chaotique du pays. Au nom de l’ ’’historicité’’ et des constantes nationales, beaucoup de tort a été fait à l’image de la révolution de novembre 1954 et aux idéaux censés justement être défendus et promus par les survivants de ce grand mouvement de l’histoire du pays. Le clientélisme, la corruption et le copinage installés par le pouvoir politique rentier comme mode de gouvernance n’avaient pas, loin s’en faut, épargné cette catégorie de la société si bien que l’image du moudjahid a été froissée, brocardée et, pour tout dire, altérée. Le silence autour de cette question a duré ce que durent les dictatures et les tyrannies ayant installé soumission et phobie au sein de la société. Ce n’est qu’au début des années 1990 que des bruits et chuchotements commencèrent à sourdre chez quelques bonnes âmes touchées par ce qui a fini par prendre la tournure d’une grave dérive historique.
Pour quel mode de contrôle des derniers publics ?
Les députés de l’Assemblée nationale populaire ont eu à déplorer le fait qu’il n’aient pas accès à un suivi des dépenses du budget de la nation. Ce suivi suppose la vérification de l’opportunité de la dépense et le contrôle de on engagement réel. C’était cours d’une séance consacrée à la loi de Finances de l’année 2008, Les représentants du peuple jugent qu’il ne faut pas se contenter de voter le budget sous les doux lambris de l’Hémicycle Zighoud Youcef, mais qu’il faudrait aller au charbon, quitte, en forçant un peu le trait, à jouer le rôle de ‘’commissaires aux comptes’’.
Le même vœu a été exprimé par les anciens députés en 2006. Ce qui est un droit qui obéit à des dispositifs et des règlements par ailleurs établis depuis longtemps s’apparente ici à une timide et tardive demande de reconquête de leurs prérogatives par les députés. Mieux vaut tard que jamais. Cependant, si les occupants de l’Hémicycle sont à ce point préoccupés de l’usage qui est fait de l’agent du peuple et des comptes de la Nation, pourquoi s’éternisent-ils dans de fumeuses péroraisons lors de leurs interventions au point de noyer les vrais problèmes dans des généralités où l’inquisition dispute la vedette à la médiocrité ? Espérer avoir un droit de regard sur la dépense de l’argent public, c’est inévitablement s’investir dans la compréhension des grands enjeux économiques et sociaux du pays et dans l’établissement du véritable diagnostic des problèmes des Algériens. C’est cet effort qui est exigé des députés et non des récriminations à tout va. Le sentiment dominant chez le citoyen est que cette assemblée est en déficit de représentativité. Cela se trouve aujourd’hui exacerbé par les nouvelles rémunérations que ce sont octroyées les députés, rémunérations jugées fort disproportionnées par rapport au salaire moyen ou au SMIG du travailleur algérien.
L’idée de contrôle de l’argent public est, avouons-le, d’un incontestable intérêt pour la bonne marche de l’économie du pays. L’occasion est surtout fort appropriée après le cauchemar El Khalifa Bank dont les audiences-qui n’ont certainement pas révélé la totalité des méfaits- ont tenu en haleine la population pendant le premier trimestre 2007. Car, l’écrasant montant de l’argent dilapidé ou détourné dans des agences de Khalifa se trouve être celui de l’argent public : caisses sociales, caisses d’assurance, œuvres sociales et autres fonds publics lesquels, par maladresse ou par malveillance, ont été déposés à la hâte par des agents de l’État dans cette nouvelle banque privée sans s’entourer de garanties particulières. Les députés de l’APN auraient pu s’auto-saisir à temps pour se pencher sur cette mésaventure avant que l’irréparable ne fût commis. Car, il s’agit bien de suivre et de contrôler, comme ils le revendiquent, l’utilisation de l’argent de la collectivité. Il n’en fut pas ainsi. Et aucune démarche allant dans ce sens n’est apparemment arrêtée au sein de l’auguste assemblée. En novembre 2005, le Mouvement citoyen des aârchs de Kabylie a tenu lui aussi à revendiquer le même droit de regard sur la gestion des collectivités locales pour, dit-t-on, mieux orienter et mieux rationaliser les dépenses destinées aux projets de développement.
La revendication des aârchs est des plus légitimes si elle pouvait s’inscrire dans la grande ligne adoptée par les pays démocratiquement avancés qui réservent une place de choix à la société civile dans la gestion locale liée au cadre de vie des citoyens et aux projets de développement. Il y est même crée un conseil consultatif qui débat des grands dossiers inhérents à la gestion des communes et des localités qui les composent dans un esprit de partenariat fructueux.
C’est aussi un principe qui est censé trouver toute sa place dans les communes de Kabylie qui ont signé une ‘’Charte intercommunale’’ à la veille des élections locales de novembre 2007 mais dont le prolongement sur le terrain tarde à se concrétiser.
Que ce soit à l’échelle locale ou à l’échelle de toute la collectivité, l’Algérie n’a pas encore développé la culture des missions de la gestion publique ni, a fortiori, la culture de la société civile qui permettraient une cogestion et un partenariat dont la finalité serait une démocratisation graduelle de la société et une protection efficace des biens de la collectivité nationale.
Un partenariat de suivi et de contrôle est-il possible ?
Par-delà le fait que les vœux des députés n’ont pas été entendus auparavant et le regret que de telles initiatives n’aient pas pu trouver leur terrain d’application dans le passé, les parlementaires seraient bien inspirés de relancer leurs engagement à assurer une meilleure utilisation des deniers publics par le truchement du contrôle, qu’ils estiment indispensable, des actions de l’Exécutif.
A l’échelle de la commune, tout semble dépendre du nouveau Code communal élaboré par le département de M. Yazid Zerhouni et non encore soumis au débat parlementaire. Les choses semblent se bousculer pour le ministère de l’Intérieur qui, selon des indiscrétions colportées par les médias, planche ces dernières semaines sur le nouveau découpage administratif. Ce dernier et les Codes de la commune et de la wilaya sont visiblement liés par une relation dialectique dans laquelle se trouve mêlées les questions de l’opportunité des dépenses communales et du contrôle éventuel de celles-ci par des parties tierces, à l’image des organisations de la société civile.
Dans les pays développés, la gestion des communes est considérée comme la pierre angulaire de l’édification d’une république démocratique. C’est pourquoi d’autres horizons lui sont ouverts pour un développement harmonieux et coordonné.
Ces horizons sont, entre autres, la régionalisation et la créations d’entités intermédiaires entre la commune et la wilaya. En France, cela s’appelle communauté de communes qui s’imbrique à un autre concept appelé ‘’pays’’, territoire culturellement et humainement homogène. En Algérie, outre une décentralisation qui n’arrive pas à s’inscrire dans une démarche claire et hardie, le Code communal en vigueur, au vu de l’évolution des réalités économiques, culturelles et sociales du pays, se trouve frappé d’obsolescence. Ould Kablia, ministre délégué aux Collectivités locales l’a reconnu publiquement et le ministère de l’Intérieur a confectionné un nouvel avant-projet qui sommeille depuis des années dans les tiroirs. La nouveauté, de ce texte d’après Ould Kablia, c’est l’approche d’une ‘’démocratie participative’’ qu’il convient d’asseoir dans les futures assemblées : les citoyens, par le truchement des associations de quartiers et des organisations professionnelles participeront aux décisions des exécutifs communaux relative à la politique de la jeunesse, de l’éducation, de l’environnement, de la santé, de la distribution de l’eau, de l’assainissement,…etc. Sans qu’il y soit explicitement fait mention d’argent, la participation de la population aux projets communaux- si elle arrive à se concrétiser sur le terrain- ne peut faire abstraction de ce chapitre important de la gestion municipale.
Le projet de Code communal comporte aussi une nouvelle vision de l’institution municipale à laquelle il compte conférer de nouvelles prérogatives tels que les possibilités des emprunts bancaires destinés à réaliser des investissements qui rapportent de l’argent (marché, centre commercial, abattoir,…). Comme, il donne la possibilité à l’APC de déléguer la gestion de certains services publics à des organismes privés. Le domaine de compétence du secrétaire général de mairie sera également redéfini étant entendu que, contrairement à l’élu, celui-là signifie la pérennité et la permanence de l’institution.
Certaines activités commencent déjà, dans le cadre de la libéralisation économique, à être prises en charge par des fournisseurs ou prestataires de services privés. Dans ce domaine, le seul baromètre demeure les usagers de ces services qui, dans leur écrasante majorité, se montrent souvent satisfaits lorsqu’ils comparent la qualité des prestations fournies par rapport au monopôle étatique d’antan caractérisé par une pesante bureaucratie et une criante incompétence. Néanmoins, cette nouvelle configuration des services publics n’exclut pas la possibilité d’abus, de dérapages ou de corruption. Étant soumis à la réglementation du Code des marchés publics, les contrats de fourniture, de prestation de service ou de concession peuvent faire l’objet de manipulations et autres manœuvres frauduleuses que ne peut empêcher la simple réglementation des marchés. A ce niveau, comme dans la plupart des pays développés, surgit la nécessité de juger de l’opportunité des chantiers engagés et d’établir le suivi des procédures de passation de contrat afin de faire jouer la transparence en toutes circonstances.
Le monde associatif, lorsqu’il est pris comme partenaire sérieux et non comme candidat aux ‘’prébendes’’, pourra jouer le rôle d’interface entre les populations et les pouvoirs publics et/ou les collectivités locales.
Une donnée essentielle de la construction démocratique
La transparence dans la gestion de l’argent de la collectivité et la lutte contre la corruption sont considérés comme une exigence démocratique légitime par les pouvoirs publics qui, ces dernières années, multiplient des gestes dans cette direction. Des éclairages relatifs à la conjoncture économique et sociale à la lumière des contestations sociales itératives de plus en plus aiguës s’avèrent plus que nécessaires. L’opinion publique- à tort ou à raison- a une lecture trop superficielle de l’événement faite par quelques médias concluent immédiatement à un paradoxe algérien qui généré et qui fait que plus les recettes pétrolières sont consistantes, plus les Algériens vivent dans la misère et la difficulté. Les Algériens, qui ont vécu depuis la fin des années 1980 avec l’ ‘’ogre’’ mythique de la corruption martelée au dollar près par Abdelhamid Brahimi- à savoir l’inénarrable chiffre de 26 milliards de dollars qui auraient été détournés depuis l’Indépendance-, revendiquent de plus en plus un droit de regard sur les dépenses publiques.
Que la campagne pour les présidentielles ait fait converger les différents acteurs politiques vers ce segments important de la vie publique, à savoir la lutte contre la corruption et la gestion rationnelle des ressources financières, dénote non seulement une prise de conscience aiguë d’une donnée essentielle de la construction démocratique mais aussi la prise en compte des impératifs de la gestion de l’économie moderne qui sous-tendent l’ouverture sur le monde et la captation des investissements étrangers susceptibles de contribuer au développement économique du pays par la création de richesses et d’emplois.
Amar Naït Messaoud