“Chanter en Algérie, oui mais en toute liberté !”

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Entretien réalisé à Paris par Djaffar Chilab

La Dépêche de Kabylie : Vous avez toujours été de ces rencontres instaurées par la mairie de Paris en partenariat avec BRTV. Qu’est-ce que cela vous procure ?

C’est important, car la mairie de Paris est un lieu symbolique, un endroit important de l’institution républicaine et en plus, c’est une capitale désignée comme la plus belle ville du monde. Et puis en nous invitant ici, ils tiennent compte de notre existence en tant que Berbères. Et à travers Yennayer, ils reconnaissent notre particularité, nos us, ce qui fait de cette rencontre un événement empreint d’une grande symbolique. Car il y a déjà ce côté officiel venant d’une institution qu’est la mairie de Paris, mais aussi ce côté émotionnel né de ce partage avec l’autre. Maintenant, à nous de leur montrer qu’être berbère n’est pas une fin en soi, dans la vie mais d’essayer de faire en sorte que l’identité berbère peut s’inscrire avec d’autres identités.

En parlant d’identité, quel commentaire faites-vous sur le débat instauré ici en France, sur ce sujet, objet de réactions controversées ?

Qu’ils en parlent, cela pourrait être utile mais pas indispensable. Ce que je relève personnellement, c’est un débat qui a lieu à une période très opportuniste. Même avec la meilleure bonne volonté qui soit, on ne peut pas ne pas penser à des échéances électoralistes. Dans une autre période, il n’y aurait eu aucune réserve. Pour moi, c’est un débat inutile dans la mesure où on ne peut pas définir une identité sachant que celle-là évolue sans cesse. L’instant est vite dépassé par celui qui vient après. Et ce n’est pas évident que les enfants héritent de l’identité de leurs ascendants.

Il serait impossible d’unir une identité française avec 65 millions de personnes, qui viennent chacune de son côté. Chirac, Zidane, Noah et je ne sais qui encore, à eux seuls, ne forment pas un peuple, chacun a son origine qui lui est propre. Mais une nation oui. Et au sein de cette nation, tout le monde peut se reconnaître à travers les principes républicains de citoyenneté et de laïcité. C’est mon raisonnement, mais je ne peux considérer que sur ce même sol français, qu’un Breton ou quelqu’un qui s’abreuve de cassoulet à Toulouse ou encore un Marseillais, qui se tape de la bouille-à-baisse, dans son coin, ont la même identité. Ce ne sont pas des références d’une identité qu’on voudrait unifier. Car quand on parle d’une identité unique, il y a une assimilation à faire pour uniformiser les gens. Or, on n’en est pas encore là. Et seul le temps pourrait amener les choses dans ce contexte.

Non loin de ce sujet, dans la diversité ambiante, bien des figures kabyles ou elles le sont par origine ont réussi à émerger du lot. Ceci vous procure-t-il satisfaction ?

D’abord, il faut préciser que ce ne sont pas les Kabyles, dans leur ensemble qui ont émergé. Mais il s’agit de personnes qui ont réussi une certaine ascension. Maintenant, si ces personnes venaient à dire chacune : “Je profite de ma position pour œuvrer pour tamazight”, là oui, je peux être d’accord mais si cette personne se contentait d’entretenir son propre succès, là, je dirais que cela ne fera pas avancer notre cause, car il ne faut pas perdre de vue que c’est malgré elle ou lui qu’il est né kabyle. Il aurait pu naître chinois.

Mais dans tous les cas, ces réussites restent des repères pour le peuple kabyle…

C’est logique, et je dirais même heureusement d’ailleurs, mais il ne faut pas que l’on reste là.

Et si on en venait maintenant aux nouvelles d’Idir ?

Je suis en plein chantier de mon nouvel album.

Parlons-en de cette production…

Je suis en plein dedans.

Comptez-vous associer de grands noms de la chanson française ? Vous confirmez ?

Tout à fait, il y en aura un ou deux.

Est-ce vrai que Charles Aznavour en fait partie ?

Normalement oui. On s’est déjà vus, on a pris des cafés ensemble, pour la petite histoire, c’est même lui qui a payé (rire !). Il m’a proposé de m’en faire un texte. Alors, je lui ai dit : “L’idéal serait que tu le chantes aussi.” Maintenant, tout dépendra du fait s’il parviend à assimiler la mélodie qu’on mettra dessus. On verra le moment venu.

Et l’autre ?

C’est Francis Cabrel.

Il composera également son texte ?

Non. Lui, il souhaite que ce soit à nous de lui composer tout, le texte et la mélodie. Donc, c’est pour cela que je dois justement voir ces jours-ci un poète qu’on appelle ici le “Grand corps malade”, pour parler de tout ça, et préparer quelque chose à Francis.

Vous y avez sans doute déjà pensé. Mais qu’est-ce qui pourrait réunir Idir et Aznavour ou Cabrel dans une chanson ?

Pour Aznavour, on a convenu qu’il fasse un texte en français sur le temps qui passe. Pour Francis, je serais fixé d’ici le 19 de ce mois. C’est à cette date que j’ai rendez-vous avec le poète dont je parlais tout à l’heure. Mais mon souhait en faite, c’est de replonger dans ce nouvel album de manière générale dans les chants anciens du terroir.

Où en êtes-vous, dans la préparation du reste de l’album ?

J’en ai déjà des titres, quelques musiques pour ne pas dire des chansons prêtes. Mais tant que ce n’est pas finalisé, le travail est soumis à de perpétuels perfectionnements.

Du slow ? Du rythmé ?

Pas nécessairement. Chaque texte a sa meilleure convenance en notes musicales, on essayera de s’en approcher le plus possible pour avoir de belles chansons. Maintenant, pour le rythmé, je pense qu’il y a bien des gens, qui le font beaucoup mieux que moi. Cela dit, j’essaye d’en faire aussi. Il y a bien eu Zwit Rwit, qui n’est pas la meilleure chanson à écouter en attendant le sommeil sur un lit. Il y a eu aussi Urar, Azwaw…

Combien de titres cet album contient-il?

Très probablement entre douze et quatorze chansons en kabyle bien sûr, en dehors de ce que vont chanter Aznavour et Cabrel.

Les sujets ? C’est une suite naturelle de ce qu’a toujours été Idir ?

Exactement. Je continuerais à être témoin de mon temps. Cela me tient à cœur de faire revivre ce côté traditionnel qu’on a quelque peu délaissé. Et dans ce contexte l’album Chasseurs de lumières constitue une référence à éveiller. Voilà ! Au jour d’aujourd’hui, ceci avance bien, nous en sommes à mettre au point les maquettes avant d’entamer prochainement l’enregistrement. Probablement, dès février.

Peut-on retrouver cet album bientôt dans les bacs ?

Dans tous les cas, sa sortie est prévue pour bien avant la fin de l’année.

Idir et la Kabylie ?

C’est mon plus bel amour.

Vous y allez ?

Oui. De temps à autre, pour deux, trois jours. J’en profite pour saluer tout le monde là-bas.

On ne peut pas finir cet entretien sans évoquer vos autres projets. A quand cette tournée en Algérie que vous avez déjà évoquée, par le passé. Est-elle sérieusement envisagée ?

Moi, quand je m’avance sur une chose, je suis toujours sérieux. J’en ai répondu à plusieurs organisateurs, qui m’ont sollicité mais sans suite.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces interlocuteurs ?

Ils sont plusieurs.

Et si c’est le ministère, une institution de l’Etat, qui viendrait vous solliciter. Vous répondrez avec la même disponibilité ?

A la limite, je voudrais m’y rendre pour chanter en toute liberté à qui voudrait bien m’écouter. Je ne suis avec aucun parti, ni au pouvoir ni dans l’opposition.

Je suis un artiste libre, qui dit ce qu’il pense, sans que personne vienne me signifier : “Ne dis pas cela parce que ça nuirait à notre parti qui prendrait en charge votre tournée.”

Mais sinon que l’invitation me parvienne de telle ou telle institution, ça ne fera pas de moi un complexé, je suis Algérien de nationalité avant tout. Même si je ne suis pas d’accord avec certains objectifs du pouvoir, je les combats, et ça ne fait pas de moi un Algérien moins que les autres.

Je ne veux pas aller sous l’égide d’un ministère ou d’un pouvoir officiel quelconque, si je dois remettre en question mes principes selon lesquels je combats, mais si je pouvais aller en toute liberté pourquoi pas. Si j’ai bien répondu aux ministères canadien, américain et j’en passe alors, il serait illogique de ma part de ne pas répondre à un ministère de mon pays. Mais au risque de me répéter, il faudrait que cela se fasse en toute liberté. J’ai déjà eu à recevoir une invitation me proposant de chanter dans le cadre de l’Algérie, capitale de la culture arabe, mais…

Tout le monde sait que vous n’y êtes pas allé. Mais comment avez-vous pris la chose ?

Eh bien, je me suis posé une seule question en fait pour trouver ma réponse.

Quelle est cette question ?

Je me suis interrogé sur ma propre définition dans un festival qui s’intitule “Alger, capitale de la culture arabe” ?

Je suis Algérien, je le sais, j’ai une double culture berbère et arabophone, je le sais aussi. Mais ça s’arrête là. Donc, il m’était illogique de cautionner plus. Mais je précise que si une telle manifestation avait eu lieu à Dubaï par exemple, et qu’on m’avait invité en tant qu’artiste, j’aurais pu partir avec bonheur. Je ne suis pas contre la culture arabe, elle est belle, je dirais même magnifique. Mais essayer de me projeter dans un truc qui ne me rend plus moi-même, en agissant sur l’opération, je dis non.

D. C.

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