La monnaie européenne, l’Euro, a battu un nouveau record, cette semaine, au marché informel de Tizi-Ouzou. Les ‘‘cambistes’’ ou ‘‘traders’’, ces vendeurs et acheteurs de devises aux abords du siége de la BADR, lieu appelé par certains le ‘‘Wall Street’’ de Tizi, proposent 138 à 139 dinars pour un euro, à son achat, et 141 dinars à qui veut en acheter.
Il s’agit d’une ‘‘cotation’’ observée, lundi, sur place, sans présager d’une éventuelle nouvelle hausse ou d’une baisse qui serait intervenue depuis.
Dans les banques primaires de la ville, la cotation officielle de la devise européenne se situait, mercredi, à 101,830 dinars l’euro à l’achat et presque autant à la vente. Cette cotation a été observée à l’agence du Crédit populaire algérien (CPA) du centre-ville. Les banques de la ville n’affichaient pas, toutes, ces cotations, et ce malgré l’existence de tableaux d’affichage, a-t-on remarqué. La panne du tableau d’affichage est l’une des raisons invoquées, notamment à l’agence de la Banque de l’agriculture et du développement rural (BADR).
‘‘Il s’agit bien d’une nouvelle flambée de la devise européenne qui date de quelques jours sur le marché informel, alors que le seuil de 130 dinars pour un euro a été atteint depuis novembre et décembre’’, a assuré un habitué de ce marché. L’euro a gagné ainsi, 50 dinars en quatre mois, avant de se fixer à 135/137 dinars à fin février. La nouvelle hausse est du même ordre ou plus, en moins de 15 jours.
Le marché parallèle de la devise existe dans plusieurs autres zones de la Wilaya de Tizi-Ouzou comme à Azazga, Bouzeguène, Larbaâ N’Ath Irathène et Aïn El Hammam, mais la «banque» référence reste cette rue jouxtant la BADR du centre-ville du chef-lieu, comme l’est le Square Port Saïd d’Alger pour la région centre du pays. Le change parallèle s’effectue également de façon discrète dans des commerces de la ville des genêts.
Opacité et absence d’analystes
Il est difficile de cerner les raisons exactes de cette flambée en raison de l’opacité qui entoure la question de la devise, à croire qu’il s’agisse d’un énième tabou de la société à Tizi-Ouzou. Toutes les personnes interrogées fuyaient les questions et lorsqu’elles concèdent une ‘’discussion’‘ sur le sujet, les réponses sont faites de façons évasives, avec un zeste de soupçons dans les yeux. Le constat est le même, aussi bien auprès des revendeurs de la devise sur le marché informel que chez les banquiers, ou plutôt les employés des banques. Révéler que vous êtes journaliste devient plus problématique que rassurant lorsque vous abordez ce sujet avec eux.
Les raisons, avancées de façon anonyme pour expliquer cette flambée, peuvent être tout aussi plausibles que superflues. L’une des raisons attribuées à la flambée de l’Euro est que ‘’tout simplement, la devise européenne manque sur le marché informel, alors que la demande est très forte’&lsquo,; a expliqué ‘’un cambiste’‘ de Tizi-Ouzou, avec un certain air d’étonnement devant une telle question ou devant celui qui la pose. « C’est pourtant simple », dit-il en ajoutant que « la vie chère a fait fondre les économies des vieux retraités et ceux-ci font le change dès qu’ils reçoivent leurs sous des caisses de retraites étrangères, principalement de France ».
L’explication d’un autre revendeur du Wall street de Tizi-Ouzou, est que les émigrés ne ramènent plus beaucoup de devises au pays, en raison de la crise en Europe mais aussi pour éviter les contrôles à l’entrée du territoire national. Un observateur de la vie locale affirme, pour sa part, qu’il y a une ruée sur la devise européenne en raison du sentiment d’insécurité que vivraient ceux qui ont beaucoup d’économies, pour ne pas dire les riches. Ceux-ci achètent de la devise pour envisager de vivre ou d’investir ailleurs. L’explication est corroborée par une autre source pour qui, au moins, un pays de la méditerranée encouragerait ceux qui investissent chez lui dans l’immobilier. Il s’agirait de l’Espagne, en particulier, a-t-il dit.
Une personne cite le choix fait par des Algériens de partir vivre à l’étranger, notamment au Canada et qui passent par l’achat d’importantes sommes en devises. Cette source signale le cas de jeunes personnes qui achètent de la devise pour financer leurs bourses d’études à l’étranger. Un autre observateur signale le fait que l’algérien voyage beaucoup ou tente de voyager. C’est le cas du nombre croissant de ceux qui partent effectuer « la Omra », le petit pèlerinage aux lieux Saints de l’Islam. Les Haragas participent également à cette envolée de l’Euro.
« La forte demande sur la devise s’explique par l’inflation qui s’est emparée du pays après les augmentations, de 50 à 100%, des salaires dont ont bénéficié des fonctionnaires et autres travailleurs du secteur public », a expliqué un autre observateur.
Les sources de la devise se tarissent…
A cette situation, liée à l’environnement et à la gestion de la chose financière, s’ajoute la question de la source de la devise qui semble se tarir aussi. ‘’L’autre jour, pas moins de quatre vieux retraités ont été enterrés dans autant de villages de notre commune. Ils viennent s’ajouter à une série de dizaines de décès enregistrés pendant ces derniers mois et qui tiraient, de leur vivant, leur subsistance dans les pensions en devises qu’elles percevaient généralement de France. Le résultat est que ces sources se tarissent logiquement, alors que le marché de la devise en veut davantage’&lsquo,; a expliqué un observateur.
Pourquoi les banques
La thésaurisation de la devise serait une autre source de cette flambée observée. « Lorsqu’on voit la difficulté de retirer des dinars dans nos banques et nos postes, suscitée par la crise de liquidités qui n’en finit pas, les gens préfèrent garder leur sous chez eux, de surcroît lorsqu’il s’agit de devises », a expliqué une autre personne qui venait de sortir d’une banque du centre-ville. Une banque primaire de Tizi-Ouzou exige que le détenteur du compte devise fasse sa « demande manuscrite » pour le retrait de 5.000 euros, au moins 24 heures à l’avance.
Il faudrait ajouter à cela la difficulté qu’ont les gens de créer des comptes devises. Les banques mettent, en effet, des conditions drastiques qui visent visiblement à décourager la création de comptes en devises. Dans une de ces banques, les dossiers de création de comptes en devises ne sont reçus qu’entre le 11 et le 27 du mois. Pourquoi cette période et pas tout le mois? La réponse est approximativement ceci: « C‘est comme ça, on a autre chose à faire ». Dans une autre banque, la question est gérée par des réceptionnistes, pour ne pas dire les agents de sécurité qui, de surcroît, reçoivent mal les gens avec cet air hautain, signe du peu d’intérêt accordé à ceux qui peuvent ramener des devises dans les coffres. Ensuite, chaque banque présente sa propre liste de documents à fournir pour pouvoir ouvrir un compte en devises et pouvoir y déposer son argent. Cela va de l’extrait d’acte de naissance n°12 à une demande manuscrite… avec numéro de téléphone (parfaitement) en passant par l’exigence d’une… « enveloppe timbrée libellée à l’adresse du client, en plus d’un accusé de réception », c’est-à-dire le carton rouge, à ramener de l’agence postale, s’il est disponible.
Des banquiers, interrogés sur le sujet, le disent ouvertement mais dans l’anonymat: « on ne tire aucun intérêt dans les comptes devises ». Au contraire, les banques primaires sont tenues d’accorder des intérêts à ceux qui laissent leur argent dans leurs comptes en devises. Pour tirer ce qu’on appelle des ‘’agios’‘ (frais de gestions), les banques obligent les détenteurs de comptes devises à ouvrir des comptes en dinars pour se faire payer les opérations qu’ils effectuent sur les comptes en… devises.
Belkacemi Mohand Saïd