« Ce fut un hommage exceptionnel »

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Du MCB au RCD, deux organisations dont il a été l'un des membres fondateurs, en passant par le GCR et le mouvement syndical qu'il a marqué de son empreinte en créant le premier syndicat autonome, Mustapha Bacha a été l'homme de tous les combats justes et nobles.

Tous ceux qui l’ont connu partagent la certitude qu’il fut un organisateur hors pair, modeste et respectueux du militant de base. Clairvoyant, avant-gardiste, il a été et restera, pour les futures générations un exemple de droiture. Karim Bacha, son cousin et non moins président de la fondation éponyme, est revenu sur le déroulement de la commémoration du 20ème anniversaire de la disparition brutale du militant des causes justes, et sur la fondation qui porte son nom, créée en octobre 2013 et qui active à immortaliser la mémoire du défunt. Mustapha Bacha repose, aujourd’hui, au cimetière du village Tassaft Ouguemoun, dans la daïra de Ouacifs, à une quarantaine de kilomètres au sud de Tizi-Ouzou.

La Dépêche de Kabylie : 20 ans, jour pour jour, depuis la disparition brutale de Mustapha Bacha. Afin de perpétuer sa mémoire et de faire connaître son parcours à la nouvelle génération, une cérémonie de recueillement a été organisée à Tassaft Ouguemoun. Voulez-vous nous en parler, vous qui êtes à la tête de la fondation organisatrice de ce cette commémoration ?

Karim Bacha : On a voulu marquer cet événement, 20 ans après sa disparition. Vingt années durant lesquelles il resté vivant dans la mémoire collective, notamment de ceux dont le destin a croisé le sien. Aussi, nous avons organisé un recueillement dans les normes et cela a dépassé les espérances des organisateurs. C’est ainsi que nous avons reçu la visite de plusieurs délégations venues des wilayas de Bouira, Sétif, Alger, Tipasa et bien entendu des communes de la wilaya de Tizi-Ouzou. Un nombre inestimable de citoyens et de personnalités politiques et artistiques de la région se sont recueillies sur la tombe du regretté où des gerbes de fleurs ont été déposées. Dans une ambiance émouvante, les présents ont rendu un vibrant hommage à ce personnage qui fut l’un des symboles du militantisme politique et des libertés syndicales. Ce fut une journée inoubliable qui prouve que Mustapha Bacha était apprécié de tous. Le recueillement auquel la fondation ainsi que sa famille ont particulièrement tenu, a vu défiler  un nombre important de citoyens et de personnalités politiques et artistiques de la région qui se sont recueillies sur la tombe du regretté où des gerbes de fleurs ont été déposées. Les présents ont rendu un vibrant hommage à ce personnage qui fut l’un des symboles du militantisme politique et des libertés syndicales. Ceux qui ont eu à le côtoyer que ce soit à l’université ou sur le terrain du militantisme politique ou syndicale ont apporté leurs témoignages pour s’accorder que la mort de Mustapha est synonyme de perte aussi bien pour les siens que pour tous ceux qui nourrissent l’espoir d’un avenir radieux pour le pays. A la fin de la cérémonie, une waada a été organisée par les villageois avant d’aller visiter la demeure qui a vu naître Mustapha un certain 27 juillet 1956. Pour résumer cette journée, on peut dire que nous avons réussi à atteindre les objectifs tracés, l’organisation était impeccable, grâce au dévouement des villageois et je tiens à dire aussi que ce fut un hommage exceptionnel.

 

Pour tous ceux qui n’ont pas eu la chance de le connaître, que leur diriez-vous à propos de l’homme, qui fut toujours présent sur tous les fronts, social, politique et culturel ?

Mustapha, que Dieu ait son âme, était le militant des causes justes. Il aimait l’Algérie à en mourir. Patriote infatigable, méticuleux et honnête, il aura tout donné à la cause Amazighe, il est parmi ceux qui ont évolué naturellement vers le combat national voire universel, en faveur des valeurs de liberté de tolérance, de courage et de sacrifice. Il faut rappeler qu’au plan culturel, il participa à la création de la troupe «DEBZA », puis du collectif culturel de l’université. En 1982, après l’assassinat de Kamel Amzal, Mustapha était présent à la tentative d’organisation de l’assemblée générale de Ben Aknoun qui fut alors interdite. Le 17 mars 1989, à Tassaft, il fonda l’une des premières associations culturelles en Algérie, l’association Ammar At Hamouda. Toujours présent sur les trois fronts, social, politique et culturel, Mustapha mena une lutte sans répit pour la justice, la liberté et la démocratie. Ne connaissant ni repos, ni divertissement, Mustapha ne militait pas, il vivait en militant. Il était d’une disponibilité telle qu’on peut dire sans risque de se tromper qu’il était pour quelque chose dans tous les événements qui ont marqué les combats identitaires et pour la démocratie. Ses discours tranchants, son franc-parler dépouillé de toutes fioritures complaisantes laissent le souvenir d’un homme qui détestait les compromis et les compromissions. Lors d’un meeting à Tizi-Ouzou, il avait répondu à ceux qui ménagent les susceptibilités calculatrices et déclaré à propos de l’arrêt du processus électoral : «On disait de nous qu’on était fous et audacieux. Moi je dis que si c’est pour l’Algérie, alors on l’est  tout le temps ». Audacieux, il l’était pour l’Algérie moderne et républicaine. Qu’il s’agisse de la jeunesse, de la culture nationale ou de l’école, il expliquera sans répit les positions de son parti et ses convictions propres. De l’école, en particulier, il n’a cessé d’insister pour « une refonte radicale » plutôt qu’une réforme. Farouche opposant du « système qui a échoué dans tous les domaines », ennemi irréductible de l’intégrisme et du terrorisme, il n’avait qu’une ambition, celle de sauver le pays, car « l’avenir de l’Algérie ne se joue pas à la roulette russe ». Mustapha était de ces hommes taillés d’une seule pièce dans l’honnêteté et l’intégrité. Ses capacités politiques et son engagement sans réserve pour la démocratie font que sa mort soit une perte irremplaçable pour le projet républicain. Dans un entretien accordé le 2 août au quotidien “ l’Opinion», aujourd’hui disparu, Mustapha avait déclaré : «Il n’y a plus de place aux hésitations (…) Les enjeux calcifiés, les conditions administratives et sécuritaires réunies, aucun démocrate ne peut refuser le retour au suffrage universel ». Dans de  telles circonstances, il est très difficile de trouver les mots pour exprimer toute la douleur qu’on ressent pour avoir perdu un ami, un frère, un compagnon de toujours. Voilà un homme qui n’appartient pas seulement à la famille Bacha, mais appartient à tout ce monde qui lutte pour la liberté et la démocratie en Algérie. Mustapha était un homme d’exception, issu d’un village qui s’est toujours identifié aux sacrifices. Il est parti à la fleur de l’âge, comme tous les grands hommes politiques qui partent très tôt sans avoir accompli pleinement leur mission, atteint leur idéal. Sur la pointe des pieds, discrètement, un peu à la manière des grands, il nous a quittés pudiquement, emporté par un arrêt cardiaque, sans un râle, sans un soupir, comme un héros. Oui, mais il avait de qui tenir, il faisait partie de cette lignée de révolutionnaires qui ont vu le jour dans son patelin, dont l’un avait pour nom Amirouche. Il leurs a toujours ressemblé parce que fier comme eux, loyal envers son pays. Un vrai nationaliste des temps modernes, un de ces algériens dont on est fier d’être l’ami. Il nous a quittés sans prévenir, subitement emporté par un arrêt cardiaque un lundi 08 août 1994.

Vous êtes président de la Fondation éponyme depuis octobre 2013, jour de sa constitution. Peut-on savoir comment elle a vu le jour, ses objectifs, son fonctionnement et ses moyens d’existence ?

Depuis la commémoration du  premier anniversaire de sa mort, en 1995, ses amis, qui tenaient à ce que son combat ne soit pas enfoui dans les tiroirs de l’histoire, ont commencé à couver l’idée de mettre sur pieds un cadre pour répondre à une attente. Un espace dédié à la mémoire du militant infatigable qu’il était et qui aura pour dessein d’écrire et d’enrichir la biographie de Mustapha, afin d’éviter que son itinéraire ne soit souillé par des dires difficilement identifiable. C’est ainsi que la Fondation a vu le jour et active avec les moyens de bord, pour perpétuer sa mémoire et faire connaître l’homme auprès des jeunes  d’aujourd’hui afin qu’ils s’imprègnent de son courage. Pour ce qui est des moyens dont dispose la Fondation, il faut savoir que nous fonctionnons avec les moyens de bord, mais nous ne désespérons nullement, tant le profil de l’homme et son abnégation pour l’Algérie constitue pour nous la seule garantie que cette fondation fera tout ce qui est en son pouvoir pour que le nom de Mustapha Bacha reste éternel. Seul regret, si vous le permettez, c’est qu’à ce jour, aucun édifice ne porte son nom. C’est regrettable, mais nous sommes confiants qu’un jour, l’Histoire saura reconnaître les siens. Je n’omettrais pas de présenter les condoléances les plus sincères, en mon nom et au nom de la fondation, à la famille du regretté Nadir Bensebaâ, qui vient de nous quitter et qui fut un journaliste talentueux et doté de valeurs humaines inestimables.

Propos recueillis

par Ferhat Zafane

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