Des tabous qui sautent !

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De la rébellion armée à la clandestinité éprouvante qui aura duré plus de deux décennies, il a vécu tous les écueils que le régime autocratique du parti unique a pu mettre au travers de la voie démocratique de gouvernance. Devant une grande partie de son aura à son chef historique, le parti sera mêlé aux aventures et mésaventures que la vie politique dans notre pays a imposées aux acteurs politiques, particulièrement à partir de 1989. L’exil volontaire de Hocine Aït Ahmed a obligé les structures du parti à imaginer une présidence tournante confiée à un premier secrétaire. Comme des fusibles, à chaque grand virage ou remous porteurs d’enjeux de la politique nationale, le premier responsable ‘’résidant’’ se voit éjecté de son poste sans autre forme de procès. Il est vrai que même avec un tel vertigineux manège, l’autorité du président du parti n’a jamais été bravée. Au contraire, tous les ‘’courants’’ du parti-administrateurs en activité ou différents dissidents laissés sur la touche à chaque séisme dans le parti-ont recours à l’arbitrage du président. Ce dernier, même en manquant d’habileté ou de sens de l’à-propos dans le règlement des problèmes organiques qui lui sont soumis, demeurera toujours entouré de son charisme habituel. On dira toujours de lui qu’il est ‘’mal informé’’ ou ‘’mal conseillé’’.

Mais, ce qui vient de se passer ce jeudi 29 novembre ne pouvait décidément pas laisser le parti dans la zone du ‘’politiquement correct’’. Ce qui devait arriver arriva. Tous les pronostics basés sur le constat du processus de choix des candidats aux élections locales donnaient le FFS perdant d’avance. L’ambition farfelue de créer une ‘’surprise nationale’’ n’a probablement de place que chez Tabou et ses collaborateurs immédiats. Ces derniers, ou bien sont coupés des réalités algériennes ou bien encore faisaient dans une désuète et anachronique ‘’agit-prop’’. Quelle que soit l’ampleur de la fraude électorale, si fraude il y a, elle ne pourrait jamais expliquer le recul électoral du FFS, y compris en Kabylie.

Un signe qui ne trompe pas : Tabou, malgré certaines récriminations d’usage contre l’administration et le système en général, a compris que le handicap, le mal et les véritables freins au déploiement du FFS sont à l’intérieur de la maison du parti. En présentant sa démission aujourd’hui à l’instance exécutive du parti, le premier secrétaire casse visiblement un tabou non seulement au niveau de son parti mais également par rapport à la pratique politique dans notre pays telle qu’elle est vécue jusqu’à ce jour. Sur ce point, et abstraction faite de la réponse que réserveront le Conseil national et le président du parti à cette demande, Karim Tabou a intelligemment manœuvré non seulement par rapport à ses nombreux détracteurs au sein du parti mais également face au poids écrasant qu’exerce Aït Ahmed sur le parti. L’indépendance a un prix, et certains éléments issus de la centrifugeuse du parti sont là pour en témoigner. À supposer même que cette décision de démission ne soit qu’un scénario inspiré de Lausanne pour apaiser l’atmosphère dans les rangs du parti, le jeu n’en perd pas une part de pédagogie politique.

En la débarrassant de son aspect comminatoire ou de chantage imposés par les jeux politiques serrés et souvent obscurs, l’idée de démission paraît d’une séduisante modernité politique qui, plus que l’alternance au pouvoir chantée sur tous les toits, sanctionne des bilans de gestion à mi-parcours.

Combien de ministres ou d’élus auraient dû se résoudre à cet acte civique et citoyen pour se mettre en conformité avec leurs convictions- si tant est qu’ils en aient-, ou pour se mettre à la disposition du parquet ou du juge d’instruction dans des affaires où ils seraient cités. Mais, il se trouve qu’en lieu et place de convictions, on parle plutôt de ‘’bail’’ ou de mandat. Dans ce cas de figure, l’on ne peut même pas ‘’accabler’’ ces détenteurs de portefeuilles de l’épithète ‘’technocrates’’. Quant à se délester de son immunité pour témoigner librement devant le juge, voici une règle dont le panache et la hauteur n’ont pas encore hanté les travées et les couloirs de nos institutions. L’attachement maladif à un poste ou fonction- par une obstinée politique de l’autruche- jusqu’à la débâcle finale semble être la seule stratégie qui ait cours aussi bien dans les postes supérieurs de l’administration que dans les organisations de la société (partis, associations).

Rentrer chez soi peut pourtant faire garder la tête haute à son auteur. C’est un acte qui pourrait faire réfléchir la hiérarchie sur de mauvais choix opérés ou sur d’éventuelles erreurs d’aiguillage, comme il est censé pousser son auteur à un repli qui sera à l’origine d’une nouvelle floraison intellectuelle (écrire des mémoires, des études techniques,…).

Nenni ! C’est un geste de bravoure qui n’a malheureusement pas sa place sous nos latitudes. Le peu de gens qui ont choisi cette voie de dignité se comptent sur les doigts d’une seule main. Pourtant, ce ne sont pas les occasions qui manquent pour dire : non ! Alors, que les tabous sautent !

Amar Naït Messaoud

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