" On ne va pas se taire ! "

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Dans son bureau à Taourirt Moussa, Malika Matoub, la présidente de la fondation Matoub Lounes, brise le silence et répond aux questions de la Dépêche de Kabylie

Entretien réalisé par : Omar Zeghni et Tassadit Ch

La Dépêche de Kabylie : 13 ans après l’assassinat de Lounes Matoub, vous intentez un procès contre les éditeurs et les producteurs, pourquoi un tel procès ?

Malika Matoub : Tout simplement, je ne reconnais plus l’œuvre de Lounes, je constate une grave atteinte à l’intégrité de cette œuvre par rapport aux supports qui existent actuellement sur le marché. A titre d’exemple, il y a des changements de visuel, des compilations et des best off. Là-dessus, je sens qu’il y a une atteinte grave à l’œuvre du rebelle et à sa mémoire. A ce sujet, je pense que le 5 juin, la justice va faire son travail.

Que reprochez-vous, exactement, aux éditeurs et autres producteurs ?

Ces producteurs ont détourné complètement l’œuvre initiale de Lounes.

C’est-à-dire ?

Je vous cité à titre d’illustration, un album édité en 1982. Il ne peut pas prendre une photo d’un autre produit sorti en 87. L’artiste a choisi une configuration et elle doit y rester. On ne peut pas changer, au gré de je ne sais quoi, le visuel d’une cassette ou d’un CD. Le droit moral est inaliénable.

Oui, mais les éditeurs estiment qu’ils ont tous les droits et que la famille Matoub n’est qu’héritière intellectuelle de l’œuvre du Rebelle.…

Ecoutez, si on n’a pas le droit, eh Bien la justice leur donnera, à eux, ce droit. Vis à vis du public de Lounes, nous nous démarquerons de toutes ces modifications, si bien sur, la justice décide qu’ils ont le droit de galvauder cette œuvre.

Donc, si on comprend bien, cette affaire n’à rien avoir avec l’argent ?

C’est sur que ça a avoir avec le coté financier, parce que ces gens là s’ils ont fait tout ce travail, c’est qu’ils avaient un but commercial. Ils ont reproduit illicitement l’œuvre de Lounes, ont changé le visuel, pour tromper les fans de Matoub et pour engranger, par la suite, une manne financière intarissable. En plus, si je reste dans leur logique, c’est-à-dire que la famille est détentrice du droit moral, et bien faisons valoir notre rôle de gardiens de la mémoire. On leur dit, aujourd’hui, stop, Matoub n’est pas un kleenex.

Vous avez évoqué  » la clochardisation  » de l’œuvre de Lounes, qu’est ce qui vous pousse à faire un tel constat ?

Tout à fait ! Quand on voit, sur des albums de Lounes, de la publicité qui n’a rien avoir avec le produit, il y a sur certains CD des titres de films tel que  » Titanic « , des photos d’ordre privé qui sont commercialisés… c’est affreux ! C’est une atteinte grave à l’œuvre de Matoub, et sur ça, sa famille ne se taira jamais. On a l’impression que l’œuvre de Lounes est devenue malheureusement, un produit de basse gamme, alors qu’elle a son pesant d’or. Personne n’a le droit de l’altérer, il y a le respect de la mémoire.

Oui mais la Fondation Matoub a adopté la même démarche, vous avez reproduit ses œuvres, imprimez des posters …

Ce n’est pas la même chose ! Toutes les fondations du monde exploitent l’image des personnalités qu’elles défendent. Toutes ces fondations travaillent avec l’image des personnalités. Quand la fondation diffuse un poster de Matoub, est-ce que cela porte atteinte à sa mémoire? Non, mais bien au contraire, c’est juste pour aller dans le sens du travail de mémoire que nous faisons. Cependant, les éditeurs et producteurs, sont tenus à une certaine règle et image.

Pourquoi alors attendre tout ce temps pour dénoncer  » la contrefaçon  » et la  » clochardisation  » de l’œuvre de Lounes Matoub ?

Je n’ai pas attendu ! Nous avons, quand la saignée a commencé dans les années 2002-2003, interpellé les producteurs, par courriers avec accusés de réception, leur demandant une explication. Nous n’avons reçu aucune réponse de leur part. Suite à quoi, nous avons déposé une plainte, en 2005, pour faire valoir nos droits. Il aura fallu du temps pour voir, enfin, le procès programmé. De notre coté on estime que nous avons fait notre travail à temps. À la justice maintenant de faire le sien.

Malgré cela, certains estiment que vous-vous êtes effacés de la scène, un silence et une absence sur le terrain, pensez-vous que c’est la meilleure manière de défendre la mémoire du Rebelle ?

Bien au contraire. Quand il s’agit d’événements qui concernent directement Lounes, la fondation organise et prend en charge l’organisation à travers tous les villages de la Kabylie. Nous n’avons jamais été absents sur le terrain.

La fondation est présente, nous avons une équipe qui travaille et qui veille à l’accueil quotidien des visiteurs. Nous continueront à entretenir la mémoire du Rebelle, à classer les archives, établir les contacts avec le mouvement associatif. Il y’a aussi les manifestations qu’initient les associations, en collaboration avec la fondation, on y participe activement. Maintenant que ces actions ne soient médiatisées, là c’est une toute autre histoire. Quant aux actions de rue, si elles sont nécessaires, nous les ferons. Toutefois, pour le moment, on voit le pourrissement dans la région et nous ne voulons pas être de la mêlée.

Récemment, l’association Tagmats, de Lyon, a dénoncé le saccage de plusieurs stèles érigées à la mémoire de Lounes, comment interprétez-vous ces actes de saccages ?

Je ne trouve pas les mots pour qualifier ce genre d’actes ! Une chose est sure, Matoub continue de déranger. Si on s’en prend à des stèles érigées à sa mémoire, c’est que son message est toujours présent. Heureusement qu’il y a des associations, des jeunes et des comités de villages qui s’élèvent et dénoncent ce genre de sabotage et essayent, tant bien que mal, avec les moyens du bord, d’entretenir ces lieux dédiés à Lounès.

Un appel aux autorités pour justement garder et entretenir ces lieux ?

Je n’ai pas à leur faire appel. Où on reconnaît la grandeur de Matoub, comme c’est le cas à travers le monde, et je rappelle que neuf places et rues portent son nom, alors que dans son pays… Chacun doit assumer ses responsabilités. Je ne quémande pas à ce qu’on érige des stèles au non de mon frère. Lounes a sa place parmi les siens, et je crois que c’est le plus important.

13 ans après son assassinat, le procès Matoub n’a pas eu lieu, peut-on connaître les éléments nouveaux du dossier ?

Le procès, comme je l’avais dit sur les colonnes de votre journal, ressemble au tricot de pénélope. La fondation a présenté une liste de personnes à auditionner par le juge, jusque à aujourd’hui, ça reste une lettre morte.

Avez-vous été auditionnée après le dernier procès ?

Pas du tout.

Des sources évoquent, pourtant, une convocation que vous avez reçue du parquet

Pas du tout ! Ce sont des allégations mensongères. Je n’ai reçu aucune convocation et je n’ai pas été auditionné par un quelconque juge. La dernière fois, ce fut le jour du procès et ça été reporté. Le juge a décidé de renvoyer le procès pour un complément d’enquête que nous avions qualifié de première, car le dossier est revenu à la case départ. Il est actuellement en instruction. On se retrouve, aujourd’hui, avec deux personnes, Chenoui et Madjnoune, qui sont en prison, je ne sais d’ailleurs pour quelle raison.

Sur quelle base vous avez établi la liste de témoins à auditionner que vous avez remis au juge ?

Pour faire éclater toute la vérité sur cet assassinat. Il y a avait des acteurs politiques et de la société civile qui se sont prononcés et ont dit beaucoup de choses, pour éclairer l’opinion et la justice, pour arriver à  » qui a tué Matoub, comment et pourquoi « , ces personnes, il faut qu’elles soient entendues par la justice car ces trois questions restent posées 13 ans après l’ignoble assassinat qui a ciblé mon frère.

Aujourd’hui, estimez-vous que le procès prend beaucoup plus une tournure politique ?

C’est sur qu’aujourd’hui, l’aspect politique a pris le dessus dans cet assassinat, car, qu’on le veuille ou non, c’est l’un des grands assassinats politiques dans ce pays.

Qu’est-ce qui bloque, à votre avis, la tenue du procès ?

Vous savez, les blocages, ils sont divers. Le premier, c’est qu’il faut qu’il y ait une volonté politique pour que la justice fasse son travail.

Le président Bouteflika a déjà exprimé sa volonté de faire éclater la vérité il a affirmé justement cette volonté politique…

Oui, il l’a promis, et ça remonte à des années lumières. Il a promis de faire toute la lumière sur cet assassinat. Des années après, le constat qu’on fait, c’est que le seul procés politique en Algérie qui reste en suspens, c’est celui de Matoub Lounes. Donc tout est à faire.

Aujourd’hui, estimez-vous que la classe politique a lâché l’affaire, la famille se sent-elle abandonnée dans sa quête de vérité ?

Pas du tout ! Nous sommes soutenus plus que jamais. Je vois et je lis, par exemple, que beaucoup d’hommes politiques de la région évoquent, dans leurs meetings et sorties publiques, l’assassinat de Lounès. Une chose est sure, le procès Matoub est un dossier crucial. Pour qu’il y ait une avancée démocratique et un apaisement dans la région, il faudrait que le procès se tienne. Mais qu’il se tient sur des bases juridiques, tenant compte de tous les témoignages des acteurs politiques, des personnalités et des forces de sécurités. Aujourd’hui, on constate qu’aucune enquête n’a été menée et nous somme au point zéro.

La justice n’a pas assez d’éléments. Si le procès se tient dans l’état actuel des choses, ça serait une parodie de justice, car beaucoup de choses n’ont pas été faites, à commencer par la reconstitution des faits. Il y a eu mort d’homme. Matoub a été tué sur la route de Tala Bounane.

Il faut qu’il y ait reconstitution des faits en prenant compte des témoignages de Nadia (veuve Lounes), Ouardia et Farida, ce qui est normal. Les riverains doivent, aussi, être auditionnés, de même que les gendarmes qui exerçaient dans la région au moment des faits. Il y a aussi les personnalités politiques qui ont avancé des certitudes, à partir de là on pourra avoir un début d’enquête.

Vous appelez donc à la libération des deux personnes, encore en détention ?

J’ai toujours signé l’appel à la libération. Pour moi, on ne peut garder en détention préventive une personne, autant d’années sans jugement. Maintenant s’il y a d’autres chefs d’inculpation, qu’ils aient un procès équitable. Si c’est dans le cadre de l’assassinat de Lounes Matoub, je dirais, qu’on n’est pas encore arrivé aux auteurs.

Ma mère et moi avons toujours refusé de nous constituer partie civile contre ces deux personnes. Si les assassins sont ailleurs, il faut les chercher et je crois que les assassins sont ailleurs.

Vous avez subi des attaques de partout, estimez-vous avoir la force de continuer à lutter pour faire toute la lumière sur l’assassinat de Lounes Matoub ?

Vous savez, même si j’ai été condamnée pour diffamation, je crois que ma volonté n’a pas été altérée pour ne pas continuer à clamer, haut et fort, toute la vérité sur l’assassinat de mon frère.

Que toute personne impliquée de prêt ou de loin par des propos ou des actes, soit auditionnée par la justice, qu’elle donne des clarifications. Je peux être condamnée, mais une chose est sure, je persiste et je signe, je demande à ce que la justice dise clairement qui a tué mon frère. Ce n’est pas aux voies autorisée ou aux voix politiciennes de me le dire. Ces voix, qu’elles se taisent à jamais !

A.Z. / T.Ch.

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