Bouira et son Bordj

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Par Ahmed Kessouri

La ville qui évolue vers l’ouest, derrière la ligne des chemins de fer, a connu un nouvel essor depuis une quinzaine d’années.

Origines et toponymiePar faute de documents, nous ne pouvons situer avec exactitude les débuts historiques de la ville. Des vestiges de colonies agricoles romaines étaient encore visibles dans un passé récent dans la région de Bouira, mais nous ne savons pas si la ville est née dans l’antiquité. Nous savons néanmoins d’après Ibn Khaldoun (1) qu’une grande partie de la population de la Kalaâ des Béni Hammad (à une vingtaine de kilomètres de M’sila) était originaire de Hamza. C’est Hammad Ben Bologhine, le fondateur de la Kalaâ, qui les avait fait venir avec d’autres populations ramenées de M’sila et de l’Aurès, pour participer à sa construction en l’an 1007. Nous pouvons donc aisément considérer que la localité de Hamza était déjà peuplée au 10ème siècle, d’autant plus que le même Ibn Khaldoun ajoute que le Souk Hamza était déjà fréquenté et très animé à ce moment-là. D’autres historiens ont rapporté l’existence d’un royaume du nom de Haz au Moyen-Age s’étendant sur l’oued-Sahel, Oued- Dhous et oued-Soufflat. L’appellation de la ville a subi beaucoup de transformations à travers l’histoire. Si la toponymie de Hamza a été attestée par des écrits, nous ne pouvons en donner la véritable signification, Ceci bien, que la tradition rapporte que Hamza serait le nom du fondateur (ou probablement du propriétaire) du marché autour duquel se sont greffés les fondouks dont quelques uns subsistent encore près de l’ancien marché, et qui auraient formé les premiers bâtiments de l’agglomération. Nous pouvons dire néanmoins que le toponyme “Hamza” est d’origine arabe, puisque dans la toponymie de souche arabe se sont les noms d’hommes qui prédominent : Béni…, Oulad…, Sidi…, etc. Contrairement à la toponymie de souche amazigh qui, elle, recèle des noms de reliefs : Adhrar…, Aourir…, Thaourirt…, Aguemmoun…, Thauemount…, Ighil…, Thighilt…, Thizi…, Agouni… etc”.(2) Ce qui porte à croire que le toponyme amazigh “Thoubirets” est le plus ancien et le véritable nom de la localité et sa signification sont à chercher donc dans le domaine de la terre et de l’agriculture. La tradition aussi va dans ce sens, puisque elle rapporte que “Thoubirets” est le diminutif et la forme féminine de “l’vour” qui signifie : terre en friche. Sachant l’intérêt que porte les Imazighen à la terre, cette dernière signification paraît donc la plus plausible. Quant à ceux qui donnent la signification amazigh de (Bou yiira : l’homme aux lions) au toponyme de souche française (Bouira), leur explication à notre sens ne peut tenir la route, puisque Bouira n’est que la forme francisée de l’authentique appellation : “Thoubirets”. Quant aux origines des populations de Bouira et de sa région, Ibn Khaldoun les rattache à Kotama l’une des deux branches de la grande tribu berbère Sanhadja, qui peuple le versant sud et est du Djurdjura, les Bibans et les Babors jusqu’à Jijel, et au sud jusqu’aux portes de Sétif.

Le Bordj de Bouira En dehors des fondouks cités plus haut qui auraient certainement subis des transformations à travers le temps, le seul monument – relativement ancien – qui garde encore quelques parties de sa structure originale, c’est le Bordj turc sur les hauteurs de la ville.C’est à la fin du 18ème siècle, que les Turcs édifièrent le Bordj Hamza. Il a été construit par Mohamed Bey de Constantine. Ce bey s’était d’abord installé au village de Sameur en Kabylie, mais ce village (détruit par le colonel Canrobert) parut au fonctionnaire turc trop éloigné de la plaine et il préféra la position de Bouira sur la route Alger- Constantine(3). Le Bordj avec sa nouba, composée de trois séfari “69 hommes” avait pour vocation “la protection de la deuxième voie de communication tracée entre la régence d’Alger et le Beylik de Constantine et qui venait d’être créé”(4). Les Turcs voulaient aussi s’allier quelques tribus Makhzen (5) comme les Ouled-Belil, Ahl Reguab, Ouled Sidi Khaled, Ouled Bouabid…, etc. pour leur fournir les éléments nécessaires au renforcement de leur garnison. Ce qui allait leur permettre de récolter l’impôt et de surveiller les tribus montagnardes hostiles à leur avancée sur les terres. Les Français voulaient occuper le Bordj, pour en faire un poste avancé, avant l’arrivée de leur colonne expéditionnaire qui allait faire la conquête de la région de l’Oued-Sahel. Mais en 1839 le maréchal Vallée – auteur de l’entreprise – fut empêché par une tempête qui menaça d’engloutir ses troupes. D’ailleurs des hommes et des mulets périrent dans cet affreux cataclysme (6).Un rapport du 17 novembre 1847 indique en ces termes l’état du Bordj : “Il occupe un plateau de 150 m d’est en ouest, et de 200 m du nord au sud. Il est entouré, sur trois faces, de ravins profonds et sur la quatrième se trouve une dépression de terrains assez forte. Le fort ne découvre pas le fond des ravins, ce qui fait qu’il est abordable à petite distance. Sa surface extérieure est formée par un carré dont chaque côté a 40 m et encore les rampes des plates-formes diminuent l’espace libre. Le Bordj construit avec une régularité assez remarquable, forme un fort étoilé présentant 8 saillants, dont 4 avec plates-formes et embrasures. Les autres saillants sont garnis de créneaux. Une citerne existe sur toute l’étendue de la cour intérieure, elle est indispensable à l’existence du fort, l’accès de la rivière étant impossible en cas de blocus. La muraille est haute de 10 m, le fort était armé au temps des Turcs de onze pièces de canon qui gisent maintenant sans affûts” (7).Pour le bon fonctionnement du Bordj, des magasins sont installées à l’intérieur pour le blé, l’orge et l’huile, de même qu’une poudrière et une cour. Autour du Bordj se trouvaient les dépendances : une forge, un four, un moulin et un atelier de sellerie et des écuries pour les chevaux. C’est dans ce Borjd que les Caïds turcs ont résidés, ainsi que les fonctionnaires et autres officiers de l’administration coloniale française, par la suite. Le personnel du Caïd au temps des Turcs se composait en général, d’un Cadi pour les affaires de la justice, de deux ou trois Chaouchs “huissiers”, d’un Khoudja “secrétaire”, un Siar “Chargé du courrier”, et d’un Moukahlia “porteurs fusils”. Les Caïds jouissaient de pouvoirs très étendus, ils avaient le droit de vie ou de mort, dont ils usaient très fréquemment, les corps des exécutés étaient jetés dans un silo au bord de l’Oued D’hous. Après le départ des Turcs, il s’ensuivit une période d’anarchie communément appelée Zmen-Mehmel. Les tribus montagnardes avaient néanmoins gardé leur organisation interne. Le bordj fut pillé et saccagé par les tribus, et pendant une vingtaine d’années il demeura inoccupé. Ce n’est qu’à l’arrivée des Français dans la région, et après la création du caidat de Bouira le 10 novembre 1847, que le duc d’Aumale ordonna sa restauration. Les travaux commencèrent le 15 décembre 1847 et durèrent quatre mois. Au mois d’avril 1848 le général Cavaignac (gouverneur général) prescrivit la remise du bordj à Si Bouzid Ben Ahmed, le nouveau caid de Bouira. Ce Bordj est un patrimoine chargé d’histoire, et il est aujourd’hui laissé à l’abandon. Il y a peu de temps, des bidonvilles occupaient sa surface intérieure, et ses alentours. Nous espérons voir un jour la direction de la culture de la wilaya de Bouira entreprendre sa réhabilitation, mais en attendant, une clôture-même avec du simple grillage Gabillon – est très nécessaire.

A.K. Professeur d’Histoire

Notes :1- Ibn Khaldoum, “histoire de Berbères”, traduction de Slane, Paris.2- Foudil Cheriguen, “Toponymie algérienne des lieux habités”, Ed. Epigraphe, Alger 1993, pages 128-1303- Bourjade (J) “Notes chronologiques pour servir à l’histoire de l’occupation française dans la région d’Aumale” in R. A 1888 page 2254- Younès Adli – qui ne cite pas sa source – écrit que le Bordj fut construit en 1567 “ ” Zyriab ed. Alger 2004, page 655- Le Makhzen : force armée non régulière, composée surtout de cavaliers qui moyennant certains privilèges et à certaines conditions, se mettaient au service du Beylik pour assurer la police et la collecte des impôts6- Colonel Robin, “Notes historiques sur la grande Kabylie” in R. A 1904 page 1107- Colonel Robin, op cit page 110.

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