Ils étaient six jeunes apprentis, trois du Cameroun, deux du Burkina Faso et un de Guinée à avoir assisté à la journée de commémoration de l’assassinat de Gamraoui Bahia Gharbi, organisée, à l’Institut régional de Formation professionnelle, par l’Organisation des Moudjahine. Leur présence en ce lieu est justifiée par la formation qu’ils suivent dans cet établissement depuis septembre 2014. Mais comme ils ne connaissaient que le Français, tout ce qui s’était dit à cette conférence en Arabe était passé à la trappe. Le fait que ce grand héros, en l’occurrence Gamraoui Bahia Gharbi, ait été membre de l’OS, en 1948, le fait qu’il ait été jeté en prison en 1950 pour ses idées et qu’il n’en sorte qu’en 51, le fait qu’il ait rejoint le maquis en 1954 pour être assassiné en 1955 à Draa El Bordj, suite à une dénonciation, le fait enfin que la wilaya se prépare à commémorer d’autres événements historiques, comme la mort du commandant Si Lakhdar, tombé au champ d’honneur le 5 mars à Djouab, ou le 19 mars, date marquant le cessez-le-feu, tout cela est passé sur nos six étudiants étrangers comme de la pluie sur les plumes d’un canard. Cependant, lors des débats, une remarque semblait avoir capté leur attention, car elle était exprimée en Français : la dépendance de l’Algérie vis-à-vis du Français, qui est en train de passer du statut de langue étrangère à celle d’une langue en concurrence avec la langue maternelle. L’un des six étudiants ne comprenait pas ce que l’intervenant a voulu dire en citant Kateb Yacine, à savoir que le contexte qui lui faisait dire que le Français était un butin de guerre, n’était plus le même, qu’en confondant butin par cadeau empoisonné. L’intervenant interpellé au sortir de la conférence par l’un des étudiants a dû s’expliquer : butin de guerre tant qu’on se sert du Français dans une grande conférence, un congrès international ; cadeau empoisonné lorsque le Français remplace la langue maternelle (Arabe ou Tamazight) en famille ou dans un espace public. Pour le jeune Camerounais venu faire une formation professionnelle avec ses cinq camarades, un tel usage n’est pas antinomique avec l’identité. Son pays a adopté le Français et l’Anglais comme langues officielles. On est quand même sur deux plans complètement différents… Mais Rémy, dont la moyenne au bac ne lui a pas permis d’obtenir une bourse pour aller se former en France, se disait heureux d’être en Algérie. Il a un étudié notre histoire dans les manuels scolaires. Il est chrétien et le vendredi, il en profite pour visiter d’autres wilayas. Il a beaucoup lu, notamment les écrivains africains d’expression française. Son français est excellent, car, dans son pays les profs sont souvent des Français. Son compatriote Marcellin, en tenue d’été parlait de deux forêts dans son pays : la forêt dense au nord, et équatoriale au sud. Ses parents possèdent des terres à la lisière, et il arrive qu’il les aide parfois. C’est ainsi qu’un jour, un sac de maïs sur les épaules, il tombe sur un boa, jette son fardeau et prend ses jambes à son cou. Des animaux sauvages, la forêt, où sa famille a une cabane, en pullule: on ne s’y aventure qu’en groupe et seulement armés de machettes. « C’est dangereux, la forêt » confirmait Rémy ! Alseny était moins disert, il est musulman et va le vendredi à la mosquée avec son cousin André. Tous deux se plaisent à Bouira. Ils sont de Guinée et suivent depuis septembre une formation en électronique comme les autres. S’il a la nostalgie du pays ? Bien sûr. Mais leur pays, comme beaucoup d’autres d’Afrique leur a offert une bourse pour faire des études à l’étranger et les voilà en Algérie, ou plutôt à Bouira. Sur ces entrefaites, André arriva et nous salua à la manière africaine : la main droite tendue et l’autre posée sur l’avant bras. Signe de respect expliquaient les autres. S’il avait mis la main gauche derrière le dos, nous aurions été pour lui un ami ou un frère. S’il l’avait fourrée dans la poche, c’aurait été le signe que nous aurions été trop jeunes pour lui. Les six jeunes en apprentissage à l’INFP se sont fait quelques bons amis et le climat ne les indispose pas trop, quoiqu’ils n’aient vu la neige que pour la première fois ici.
Aziz Bey